samedi

"écris dans un livre ce que tu vois"



Emile et papa sont au Liban pour les vacances, je me retrouve seule avec ma mère et ma soeur, chacune dans son coin, moi toute seule dans ma chambre, elles au salon avec les ordinateurs, le téléviseur et leurs discussions. Le monde s'est comme arrêté : il n'y a plus de courrier, je m'imagine qu'il est 22h quand il est 01h du matin, la maison est silencieuse, nous nous réveillons toutes les trois très tard, je fais ma vie, je les croise rarement, je dîne seule, ma mère ne fait plus à manger, ma mère ne fait plus les courses, elle croit que les restes de Noël nous feront le mois. je retourne dans ma chambre lire ou regarder des DVDs, parfois je tente de prendre le thé avec elle mais elle ne m'accorde pas un seul regard, elles sont sur leurs ordinateurs et je pars dans ma chambre avec ma tasse.
Aux alentours de 16h je dis à ma mère que je sors avec mes amies filles, que nous allons au cinéma ou nous promener, parfois c'est vrai, parfois c'est un mensonge et je suis en réalité avec un garçon. Elle me demande à quelle heure je compte rentrer, je tente d'être sincère alors je lui dis que je ne sais pas et que je l'appelerai, mais que je ne tarderai pas.
Parfois je rentre avant 20h, parfois à 22h, parfois à 19h et je peux alors diner en face de ma soeur et bavarder avec elle, nous nous prêtons nos nourritures. Elle trouve aussi que cette période de l'année est bizarre et spéciale.
Je retourne dans ma chambre, l'ordinateur télécharge des films sans arrêt, la chaine hifi est allumée avec une chanson mise en pause depuis des heures, mon halogène ne marche plus alors je fonctionne avec la lampe de mon bureau et celle de ma table de chevet qui éclaire chacune une partie de la chambre, je ne regarde plus du tout la télé ni les informations et quand il m'arrive d'apprendre une nouvelle du monde c'est que cela s'est produit par accident, en écoutant la radio, en entendant LCI de loin. mes cadeaux sont encore sur mon bureau, certains encore sous blister, les habits sur mon lit gênent la libre circulation de mes jambes. des jeans, des paquets de t-shirt mous, des petites serviettes de bains, des bouquins et des magazines.
c'est le moment où je me dis qu'il ne reste plus rien du passé, seule la tristesse se maintient.

jeudi



Dans les magasins de fringues il y a les robes à sequins et des pochettes de soirée qui dissimulent derrière elles les grosses écharpes et les pulls qui boulochent sur place. Les robes pour le réveillon, les pulls pour le froid du quotidien.

Chez virgin il y a les étalages de coffret dvd et de beaux livres, les queues interminables pendant les pauses déjeuner des working girl et boy, les "pourrais-je avoir une pochette cadeau s'il vous plait?", les gens qui prennent un panier pour le remplir de culture comme au supermarché, les dvds et livres achetés par kilo, parfois avant de rentrer chez moi je vais au centre commercial trouver des cadeaux pour ma famille, mon baby sitting me permet d'avoir les moyens de ma générosité.

A Courbevoie il y a la décoration un peu déprimante et maladroite sur les arbres et les réverbères, cette manie de décorer que la moitié la plus visible du sapin par souci d'économie c'est vraiment très triste.

Quand je rentre chez moi il y a les images mouvantes des écrans télé que je distingue à travers les rideaux des foyers, ce sont mes vitrines de Noël et je les préfère largement à celles des grands magasins, les immeubles excessivement décorés pour le grand concours des décorations organisés par la ville - d'ailleurs je me demande s'il y a vraiment des critères d'esthétique et d'harmonie où si ce sera la façade la plus clinquante qui l'emportera -, mes lèvres dures et gelées que j'essaye d'enfouir dans mon écharpe et tout le monde à l'air de faire ça et on ne distingue plus que des demi-visages dans la rue, il y a aussi les odeurs délirantes d'aliments riches qui proviennent des traiteurs, comme si niveau alimentation c'était noël tous les jours.

Chez moi il y a un modeste sapin qu'on a décoré sans conviction et qui clignote tout le jour et toute la nuit sans interruption avec quelques cadeaux un peu en dessous, ils ont des formes mystérieuses et des papiers cadeaux dépareillés.il y a emile qui ne veut plus la PS2, myriam qui ne sait toujours pas ce qu'elle veut et moi qui sait précisément ce qui me ferait plaisir.un jour je suis rentrée chez moi et mon duffle coat noir était maculé de petits points blancs, il avait neigé un peu.

vendredi

Les vendredis soirs



La semaine est passée, les cours et les contrôles, les siestes et les nuits blanches, la mal bouffe de lycéenne qui refuse de manger à la cantine, les douches brûlantes pour se réchauffer tout les soirs et matins, les actualités, le marque pages qui avance sensiblement dans le gros pavé que représente American Psycho, les blogs lus, les sacs de cours changés tous les jours, la presse gratuite, la presse payante, les séances de cinéma improvisées, les films à la télé, les cheveux lavés autant de fois qu'il y a de jours dans la semaine, le parapluie cassé, le bus et le métro, les cours où on écoute pas, les cours où on écoute, les profs qui nous détestent, les blagues, les livres qu'on prête , la crème hydratante et le Dermophil indien, le thé, le coca light, le lait et le café, le Nureflex, les mouchoirs de poche, la musique en format mp3, les carottes rapées en format individuel, l'expo Courbet avec la classe, le bac blanc, les films téléchargés, les albums écoutés au Virgin entre deux cours, et le baby-sitting pour boucler tout ça.
je reviens le vendredi soir en mille morceaux, Emile et Myriam mangent de la salade par terre au salon devant la Star Academy et pas loin du sapin qui clignote sans interruption depuis qu'il est installé. je souffle une dernière fois et je pose ma besace et mon manteau gris sur le premier support venu, j'ai une dalle de malade, il me faut de la bouffe et mon ordinateur, je checke tout ce qui est checkable sur le net tout en me bourrant de salades et de biscottes et en écoutant la radio. le chauffage est allumé au max, ma chambre est aussi chaude que mon front et je souhaite passer mon vendredi soir à ne rien faire, si possible sur internet, si possible sur msn jusqu'à 3 heures du matin, avec un film en pause sur VLC. il me manque forcément quelque chose mais je ne souffre pas, je suis dans la vie et cette idée suffit à m'émouvoir, sur Word j'ai une liste de mille choses à accomplir.

jeudi


Il y a quelques jours, une nuit, en plein dans mon rêve j'ai eu un "éclair de mort", ce truc qui arrive plus ou moins rarement -encore plus rarement de cette intensité là- et qui pendant plusieurs secondes nous submerge d'une conscience suraiguë de la mort. à chaque fois que c'est arrivé j'en ai gardé un souvenir particulièrement précis, un goût ferreux au fond de la gorge comme celui d'une cuillère gardée longtemps dans la bouche et qui commencerait à rouiller, la mâchoire qui tire, l'effondrement total du peu d'enthousiasme qui servait à se lever le matin sans pleurer. C'est à chaque fois un déchirement de plus, le vide abyssal qui s'empare du passé comme du futur, réduit à néant nos tentatives de ne pas vouloir disparaître complètement, de sauver les meubles, les textes, les photos, la mémoire.

Je suis allée chercher le courrier, il était tôt, dans les 17h. La femme et l'homme qui était dans l'ascenseur avec moi ne m'ont même pas dit "au revoir", ça m'a un peu déprimé.
Une fois chez moi je ne savais pas ce que j'allais faire de ma soirée toute seule là haut dans ma chambre. comme tous les jours après l'école j'ai mangé toute seule avec "Nonobstant" à la radio et j'ai pris ma douche.
Sous la douche, je sais pas pourquoi, j'ai réfléchis aux conditions dans lesquelles étaient mort Fred Chichin, je suis pas une fan particulière des Rita Mitsouko mais la mort et le cancer sont des choses qui me travaillent quand leurs existences me sont rappelées. J'avais l'impression d'avoir à faire quelque chose, une sorte de deuil ou de réflexion autour de ça, je ne savais pas tellement quel comportement adopté, quel était la meilleur chose à faire : lire un livre ou prier, regarder la télé, jeûner ou m'occuper de ma mère. Mes réflexions m'ont totalement démoralisé, la vie avait une fois de plus perdu le sens que je lui avais trouvé, encore tout à l'heure j'étais plutôt enjouée mais il faut croire que mon humeur tient à pas grand chose, c'est un peu déprimant, toute seule j'ai du mal à échapper à la tristesse.
Au loin ma mère criait sur mon frère qui avait balancé un garçon de sa classe à propos d'une histoire d'insectes; j'ai commencé à me dire qu'avoir une certaine petite routine était la manière de vivre la plus éloignée de la mort.
Sur les coups de 19 heures, contente à l'idée d'être fatiguée, j'ai éteint les lumières de ma chambre et je me suis endormie, heureuse d'échapper de la meilleure façon qu'il soit à la réalité. Vers 23h j'ai senti ma soeur me bouger la couverture, elle cherchait la télécommande dans mon lit. Je me suis réveillée.

Sous les nuages exactement






Dehors les arbres ont besoin d'être élagués, les éboueurs n'ont jamais eu autant de travail que maintenant, leurs gilets jaunes fluos font contrastes avec les couleurs fauves de la saison. Les arbres maintenant dominent la ville et se répandent sur le sol sous forme de petits bébés feuilles mort-nés.

C'était encore les grèves, et une fois chez moi je n'avais que 5 minutes montre en main pour vider mon sac, me remplir le ventre, faire pipi, me laver le visage et faire en sorte de ne rien oublier. Dans ce genre de situation on essaye par tous les moyens possibles de faire un maximum de chose en même temps : pendant que le café chauffe je troque mes ballerines pour des Converse et mon portable se charge. 3 actions, je ne pouvais pas faire mieux.
J'ai foutu une clémentine et une pomme dans mon sac, mon café dans mon thermos et j'ai pris les escaliers pour descendre. Une fille pressée vaut mieux qu'un ascenseur.

Je n'avais pas la clé du local à vélo et il n'y avait qu'un bus sur deux , ce qui voulait dire que j'allais devoir courir pour y être, d'où les Converse. J'ai donc couru aussi vite que j'ai pu, avec mon sac encombrant et ma démarche maladroite de fille qui a un peu trop conscience qu'elle court.
Je suis passée devant le lycée Paul Lapie pendant l'heure de récré où tout le monde fume dehors, y passer incognito aurait relevé du simple miracle. J'ai baissé les yeux, je me connaissais, si j'avais croisé quelqu'un, par réflexe je me serai tout de suite arrêtée pour lui parler.
En 2 ans j'avais beaucoup changé : le poids, les lunettes, le manteau, les cheveux, j'aurai du être à moitié méconnaissable ou alors assez intimidante pour dissuader toutes anciennes connaissances de venir me taper la discute mais en voulant traverser le passage piéton il n'y a pas eu que le feu rouge pour m'arrêter. Marine était là et elle criait mon nom.
Je n'étais pas trop son amie, on traînait beaucoup ensemble au CM2 mais c'est le genre de souvenir qu'elle comme moi aimons occulter.
Elle était très douce, elle m'a fait la bise et m'a demandé "mais en fait t'es dans quel lycée?" comme si le jour de la sortie des classes de 3eme je l'avais laissé en plan sur le bord du trottoir sans aucun élément de réponses. Je lui ai répondu que j'étais "à Neuilly", c'était la sale manie que j'avais de répondre par le nom d'une ville au lieu de celui de mon lycée. "Saint James" n'allait pas non plus l'avancer mais j'avais honte de considérer "Neuilly" comme un gage de qualité pour un lycée, comme l'ultime argument. Elle m'a dit "et tu es en quelle classe?" j'ai réfléchi avant de sortir le prévisible : "En première L, et toi?" "En S". Et puis j'ai fait ma fameuse blague "En temps normal on a pas le droit de se parler" Puis elle a rigolé. Je crois que j'étais essoufflée et que je lui ai dit que je devais aller à mon baby sitting, elle s'est montré compréhensive et souriante et je suis partie en courant à la fois parce que j'étais gravement en retard et puis aussi pour fuir une situation un peu compliquée. Tout ça aurait été beaucoup plus facile sur MSN.
Je savais qu'en donnant de mes nouvelles à Marine c'était des nouvelles que je donnais à une grande partie de mes anciens camarades du collège. les choses allaient se diffuser avec grande rapidité et puis chacun m'imaginerait à sa façon, cette idée d'être comme une apparition me plaisait bien. Puis c'est toujours en tombant sur une vieille connaissance qu'on arrive à avoir un regard extérieur sur soi-même, qu'on perçoit nos changements et ce qui a évolué en mieux, il faut alors se résumer en 3 phrases bien senties. Face à Marine j'étais fière de montrer que Murielle était totalement différente, qu'après le collège elle n'avait demandé qu'à s'émanciper et à kiffer les livres.

La maternelle n'était pas encore ouverte, j'ai eu le temps de penser à ma rencontre avec Marine, j'espérais ne plus jamais la croiser ou alors la croiser pour tout gommer et m'excuser, je ne sais même pas si je lui ai dit au revoir.
Je suis entrée, j'ai dit bonsoir à la grande madame blonde qui doit être la gardienne où un truc dans le genre, je suis allée dans la classe de Valentin en disant bonsoir à la maîtresse et puis j'ai demandé à Valentin de dire au revoir à sa maîtresse et il est allé lui faire un bisou.
On est sorti, je devais attendre Jean Baptiste devant l'école primaire à côté du petit muret.
Au début la vision de tous ces pères et mères de familles qui attendent leur gosse me déprimait carrément, c'était une confrontation un peu trop brutale avec la réalité, je voyais se profiler à l'horizon l'après-midi goûter/devoir/dessins animés/dîner/dodo, une perspective insupportable, une sorte de préparation au futur métro (en grève)/boulot/dodo.

J'ai reconnu JB à son kway rouge foncé Quechua, Valentin possède le même, c'est un peu déprimant. Valentin ne voulait pas me donner la main, le gosse doit bien faire la taille d'un pneu et les conducteurs n'étaient donc pas en mesure de le voir, c'était super dangereux, j'en avais marre, je ne voulais pas qu'il meurt, ça m'aurait créé tout un tas de problèmes qui m'aurait fait regretté ma vie d'avant. Sauf que la vie d'avant à continuer. Ils ont goûtés dans la cuisine, j'ai discuté comme je pouvais avec Jean Baptiste, j'ai bu mon café et mangé ma pomme à côté d'eux. Valentin a encore chialé comme une brute parce que j'avais pas compris comment il voulait que je coupe sa pomme, j'ai vidé le sac de piscine de Jean Baptiste, il a préparé son sac de karaté et "le papa de Margaux" a sonné à l'interphone en plein milieu d'une partie fatigante de cache-cache pour venir chercher Jean Baptiste et me délivrer de ma cachette.

Ensuite l'appartement était à moi, devant l'inconscience de Valentin je pouvais à peu près faire ce que je voulais. Je suis d'abord allée éteindre la lampe de chevet resté allumée dans la chambre des parents et puis j'ai fini par fouillé dans les piles de bouquins qu'il y avait un peu partout. Le lit était défait, avec des draps façon Laura Ashley avec ces dessins de fleurs qu'on aurait dit sortis d'une encyclopédie. Je ne sais pas ce qui m'a pris mais je me suis baissée pour sentir l'odeur du coussin de ce qui devait être le côté de la mère si on en jugeait par le vernis, le polissoir et la crème anti-rides posés sur la commode qui jouxtait le côté du lit.
Cela sentait l'humidité du sommeil, c'était plus une mauvaise odeur qu'autre chose mais je trouvais ça émouvant.

En réalisant ce que j'étais en train de faire, je suis retournée lire Vian dans la chambre du petit, il m'a demandé d'ouvrir un sac de puzzle qui devait être le cadeau d'anniversaire de son grand frère. J'ai demandé s'il n'allait pas se faire gronder et si j'avais le droit. Après coup je me suis rendue compte de la connerie dont j'avais fait preuve : j'étais plus apte à répondre à la question que ce bout de 3 ans et demi et pourtant je l'avais écouté et j'avais ouvert le sac.
Après sa partie de puzzle qui avait consisté à étaler les pièces par terre et à se rendre compte que le jeu était trop compliqué pour lui, il est revenu jouer avec mon portable et ça m'a donné l'occasion de regarder son visage.
C'était un petit garçon plutôt mignon du fait de son âge mais je savais qu'on pouvait l'être bien plus à cet âge-là; il était en fait très banal pour un nourisson. Le teint de sa peau est régulier, il n'y a aucune nuance entre la peau de sous ses yeux et celle de ses joues; toujours ce même beige clair lisse et opaque avec ce qu'il faut de trou pour faire passer les yeux, les narines et la bouche. En grandissant il s'affinera et deviendra comme son grand frère, avec un visage fin et chiant, des oreilles un peu décollées, des cheveux coupés courts et des fringues dans les tons kaki, beige et marrons.
Le père est rentré 30 minutes plus tôt que prévu. Quand j'entends la porte claquer je lâche mon livre, je me précipite par terre avec les puzzles mélangées et je fais mine de les ranger. Après j'enfile mon manteau, je fais gaffe de ne rien oublier et je pars en lui souhaitant une bonne soirée et un bon week end. Je lui ai dit que j'avais ouvert les cadeaux du grand-frère, je crois qu'il n'était même pas au courant que son fils avait eu des cadeaux ce matin, il avait l'air de s'en foutre un peu, il m'a dit "on verra ce qu'en pense le grand-frère" en rigolant, du genre "alala ces gosses".

Dehors il faisait froid, j'ai appelé ma mère pour qu'elle vienne me chercher devant mon ancien collège et j'ai marché jusque là-bas. Ensuite j'ai mangé de la salade de riz et je suis allée toute la nuit sur internet.

vendredi

Generation Y



je suis assise au salon sur la table à manger. Un espace serein et digne de mes révisions autour des grands meubles lourds en bois et des fleurs artificielles figées dans l'air comme une coupe tektonik, des feuilles simples grands carreaux un peu partout autour de moi avec des notes que je connais jusqu'au point alors qu'il y a 3h j'évitais de croiser leurs regards.
Mais comme dit Adam Smith, une main invisible motive les intérêts de chacun (je connais mon cours je vous dis). Un semblant d'ambition sûrement.
comme d'habitude je n'ai pas bossé de mes vacances et je m'y prend le dernier jour en croyant que m'y mettre très tard le soir signifie beaucoup réviser, devant les copains ça donnera quelque chose du genre "ouais j'ai bossé jusqu'à 3h laisse tomber j'ai pas dormi".
cette phrase qui revient à chaque fois avant un contrôle, sur msn, par texto, face à face.
Parfois je réalise que je suis sur le point de la dire et je me tais et vais plutôt remplir ma bouteille d'eau Nestlé Aquarel pour le cours suivant.
il y a des phrases comme ça : "j'ai pas dormi", "j'ai foiré mon contrôle", "j'ai rien fait de mon week-end", qui reviennent inlassablement. Des automatismes, et nos journées finissent par obéir comme par habitude. On ne se voit pas autrement qu'inactif, que crevé le matin avec des cernes tracées à l'encre de Chine et une haleine Nespresso.

Demain aussi ce sera comme ça, malgré les efforts que j'aurai fait pour avoir l'air potable, l'air "j'ai bronzé sous ma couette avec les stores fermés" après deux semaines de vacances chaotique mais plutôt coul dans le genre.
Je m'imagine demain, j'appréhende un peu les retrouvailles alors que tout sera normal. J'ai l'impression que les gestes me manqueront, que j'aurai l'air conne en tenant mon stylo, rien qu'en réécrivant mes cours tout à l'heure j'ai vu que mon poignée me faisait mal, comme si deux semaines sans écrire me faisait perdre mon corps d'élève. Celui qui s'asseoit, lève le doigt, gratte sur sa feuille comme un taré, jette violemment sa besace sur son lit en rentrant, pianote toute la soirée des "LOL" sur msn.

Les vacances ne m'ont fait réaliser qu'une chose c'est qu'il me faut un encadrement scolaire, quelque chose qui m'oblige à enfiler mon jean et mes ballerines à bouts carrées le matin et qui me traine dehors, peu importe les plaintes, peu importe la gueule, peu importe les tasses de liquide stimulant bues, il me faut ça, sinon je sombre. J'ai fait en quelque sorte ce que Douglas Coupland (Generation X est vraiment un roman de malade) ma crise des vingt-cinq ans.
Cette "Phase d'effondrement mental qui survient entre vingt et trente ans, souvent provoquée par l'inaptitude à fonctionner hors de l'école ou de tout environnement structuré, couplée avec la révélation de la solitude ontologique de chacun dans ce monde. Coïncide souvent avc l'installation dans le rituel médicamenteux."
Pour le moment vous enlevez la dernière phrase et ça me semble nickel.


J'ai perdu tout repère de normalité. Vous vous dites peut-être "coul t'es hors-norme, à l'état brute maintenant" mais au contraire, j'ai le crâne complètement sonné, l'horloge interne jet-laguée aux horaires d'Australie et l'idée d'un ciel tout autour de moi (sortir dehors en d'autres termes) m'intimiderait presque.
Demain je vais super galérer pour me réveiller, j'ai programmé 3 réveils et j'ai étalé du vernis rouge sur mes ongles pour fêter ça.
Je vais recôtoyer l'extrême matin, mes horaires seront synchrones avec celles du soleil et celles d'un chroniqueur radio de matinale.
J'ai passé ma soirée à regarder "Les sentiers de la gloire", à papoter sur mon forum préféré et à lire des blogs. il est 02h39 du matin. Je ne lutte plus.


PS / je pense sérieusement à changer la gueule de ce blog en un truc un peu plus rigolo que ce rose PQ, peut-être que quand vous lirez cette phrase le mal aura été fait.

samedi



dormir très tôt le matin, se réveiller beaucoup trop tard, passer sa journée devant -par ordre d'apparition- un pc, un livre et une télé. ne se rendre compte qu'à 2 heures du matin qu'on a très mal à la tête.
Je tente en vain de me persuader que ce qu'on appelle la vie sociale n'est pas fait pour moi.
Les gens veulent avoir des vies sociales, la vie sociale ça veut tout dire, ça veut dire qu'on est "sociabilisable", en bonne santé, avec de la conversation et des amis.
Au lycée on ne parle que de ça, des amis qu'on a en dehors, de ce qu'on a fait ce week-end, ce mercredi, pendant les 3 heures "de trou", et c'est à celui qui répondra le mieux que reviendra les questions curieuses et le contentement de tous. Parfois, rien que de penser à ces questions me fait bondir hors de chez moi, n'importe où, quelque part où dire que j'y étais aura de la gueule. Souvent le centre commercial, souvent le cinéma.

J'ai souvent eu l'envie d'épuiser les journées jusqu'au bout, de les sucer jusqu'à la moelle, d'être fonctionnelle et réceptive de 8h à 00h, être là pour les cours de la journée, être là pour les conversations pendant le déjeuner, pour le débat en histoire géo, pour le cours de sport, pour mes devoirs, pour un concert après les cours. Il y a ces journées extrêmement bien remplies, satisfaisantes car elles ont du sens et vont de la situation initiale à la finale en passant par les péripéties.
Ce sont celles qu'on emprunte aux Occupés -ces gens qui ont des "dures journées" et qui enlèvent douloureusement leurs chaussures tout en soupirant le soir en rentrant du travail -pendant qu'eux vivent nos simili-vies de Désoeuvrés, notre mollesse et notre fatigue chroniques, nos grasses matinées étirées à l'infini et qu'eux appellent leurs "petits plaisirs", leur "week-end sacré".
Ces journées bien remplies ont lieu très rarement quand même, le plus souvent je fonctionne de sorte à ce que mes activités débordent de l'emploi du temps mental que je m'étais fait, et le temps prévu pour la discussion sur Msn avec X se multiplie par deux tandis que celui réservé aux révisions du contrôle de maths se divisent au même moment par deux.
Des journées anarchiques complètement aux antipodes de mes journées bien remplies comme si elles n'appartenaient pas à la même personne, des journées régies par l'ennui, la fatigue, des gestes lasses, un dos courbé.

Samedi je suis sortie de chez moi vers 16h, je devais rejoindre ma mère à Saint Lazare après son cours d'anglais, on devait m'acheter des chaussures.
Ca fait plusieurs fois qu'on fait ça, qu'on va à Saint Lazare et qu'on fait toutes les boutiques pour me trouver d'abord un manteau (c'est fait) et puis des chaussures. Toujours la même chose, le même processus : ma mère demande ma pointure pour plusieurs paires, je demande des bas à la vendeuse ou ma mère me prête le sien, j'essaye et à chaque fois que je me lève pour regarder mon pied sous tous les angles, ma mère appréhende ma réaction, elle aimerait en finir, une dizaine de fois elle a dû se confronter à mes moues, à mes "mouais", et je sentais que dans le ton de ses "tu les aimes?" elle désapprouvait mon choix et regardait déjà d'autres étalages.
Finalement je m'en sors avec des ballerines noires vernies à bout carrés, un truc de malade les bouts carrés, c'est mon obsession du moment, je trouve ça tellement classe, mes pieds ont l'air tellement beaux dedans, j'aime quand on voit les veines de mes pieds, je trouve ça beau, c'est mon côté femme fragile Barbara Gould.
Tout de suite après être revenue de ma séance de cinéma (le rêve de Cassandre) avec C. et sa copine V. j'avais à l'idée de dîner avec mes ballerines aux pieds juste comme ça, par plaisir, et c'est ce que j'ai fait, entourée de ma mère qui rangeait les courses qu'elle venait de faire, mon frère qui écoutait Skyrock (c'est nouveau mais je compte y remédier) en interdisant ma soeur d'aller au concert des Shins lundi parce que c'est son anniversaire et que ça se fait pas.

Aujourd'hui toute la famille traîne à la maison, les pcs sont tous occupés, on lit des livres et des magazines, on travaille, on papote, on fait des blagues, on mange des cônes au chocolat Picard, emile joue à sa nintendo DS, maman cherche des recettes de gâteaux pour lundi et pour mercredi comme j'organise une fiesta et on attend 20h50 pour regarder tous ensemble Family Man au salon avec nos couvertures. Une grosse famille de Désoeuvrés.

lundi

un océan d'étoiles



j'avais juste envie de le revoir. ça faisait presque un an, presque jour pour jour que je ne l'avais pas vu. je croyais qu'il aurait été content de me revoir, que j'étais la personne qu'il voulait à ses concerts mais qui n'osait pas me le dire. et puis me le dire où et comment.
il portait un long manteau noir et une écharpe et j'ai du crier son prénom pour qu'il me reconnaisse, il était passé devant moi sans me reconnaître. Malgré ma robe, malgré mon parfum, malgré mes lunettes, malgré l'effort fourni pour être présentable alors que j'avais la gueule des jours mauvais, des dimanches blancs, du teint cireux et pâle, des cheveux plats. Un lundi de labeur sans croiser une seule fois le regard des garçons. j'ai survécu à la lettre de Guy Môquet, aux deux heures de sport, aux deux heures d'histoire, aux deux heures de français. j'étais là, 40 minutes de trajet, des collants et des ballerines malgré le froid, ma plus belle écharpe, une harmonie dans les couleurs.
Tant de détails si réfléchis, si précieux à mes yeux, pour finir par ne pas être regardée.

J'ai tout de suite perçu la façon dont j'allais passer la soirée, dès les premières minutes, c'était fatal.
Il y avait 5 groupes à l'affiche, ils m'ont dit qu'ils n'allaient passer qu'à 22h30. j'avais prévu de partir à 23h.
Une fille est montée sur scène, une folkeuse qui chantait des chansons avec la même voix que Kelly deMartino, une voix dingue pour une française. elle était trop belle, ses petits cheveux étaient dans son bonnet marron, sa robe avait des motifs qui allait bien avec sa musique et je crois qu'elle avait des collants fuschia. les mecs à la batterie et au violon portait des chemises de bûcherons, il étaient propres sur eux et tout mignons.

J'ai passé les 30 minutes du set complètement à l'opposé des gens que je connaissais, je ne voulais pas leurs imposer ma présence gênante et les questions qui peuvent aller avec. faut-il parler entre les chansons, faut-il applaudir.

après il y a eu une très longue entracte, je suis retournée de l'autre côté. quelque chose n'allait pas, avant ce n'était pas comme ça.
J'ai décidé de ne plus être gênée à l'idée de ne rien faire de mes mains. Je regardais ces gens, essayant de ne pas leur communiquer à travers mon regard une once de desespoir ou d'énervement, quelque chose qui ressemblerait à un "SOS venez me parler".
Je fixais N., après tout j'étais là pour lui.
Je n'avais jamais remarqué sa petite taille, je l'avais toujours imaginé grand, élancé, dans des habits trop amples pour lui, avec son collier ras-du-cou un peu gothique qui me fascinait mais qu'il ne met plus depuis longtemps. Je l'ai toujours associé à Ian Curtis, autant dans la voix que dans les fringues que dans l'attitude. même si je ne connais pas vraiment l'attitude de Ian Curtis, mais enfin vous voyez.
Sa petite taille m'a fait songé à Benjamin Castaldi qui lui aussi est petit mais qui ,grâce à quelques astuces de caméra, paraît toujours très grand à la télé.

Ce soir j'en voulais à N d'être aussi épanoui, il avait cette assurance que je n'ai jamais eu et qui suffit à faire de lui un étranger. Cette confiance en son travail est légitime : il a sorti des EP, des albums, il fait des concerts dans les salles branchées de Paris, il y a des pubs et des flyers qui circulent, on parle de lui sur quelques blogs musicaux, dans Technikart, dans le NME, la soirée est sponsorisée par Motorola et Agnes b. Il doit se sentir beaucoup exister.
Il méritait toute cette attention, même si -j'en suis sûre- il gardait un certain recul face à toute cette agitation. Comme tout le monde, comme tous les artistes

La foule, même assez petite pour que j'en distingue ses visages, me rappelle trop souvent ce que je suis, c'est à dire rien, ou pas grand chose. Une nana qui prétend valoir plus que son anonymat. je veux être aimée, je veux que N. vienne me parler comme avant, quand on s'envoyait quelques SMS qui me remplissait de beaucoup de joie.
Je ne veux pas qu'on s'occupe de moi, je ne veux pas être l'enfant à garder, je veux qu'on ait envie de ma présence et qu'on se débrouille pour me forcer à rester, j'aimerai être essentielle, c que je ne vis pas n'est pas censé exister.

D'habitude je ne suis pas là quand le monde tourne sans moi mais cette fois ci c'est comme si on me forçait à rester, à voir les gens capables de beaucoup parler et de beaucoup sourire sans que j'y sois pour quelque chose.
Je pense : il m'a fait la bise, comme pour marquer son empreinte, comme pour me dire "je t'ai reconnu, je t'ai distingué de toute cette foule, ne m'en demande pas plus" et j'ai pris ça pour de l'affection et de l'intérêt.
A 21h j'ai senti que je pouvais encore changer le cours des choses, prendre une bonne décision. Je pouvais rester là à mendier l'attention de quelques personnes jusqu'à épuisement ou rentrer chez moi et sauver la soirée.
J'ai choisi l'option 2.
Je suis partie en ne disant au revoir à personne non pas par rébellion mais parce qu'on m'aurait posé trop de questions auxquelles je n'avais pas les réponses. Tout ça était si spontané, cette décision de partir, qu'il fallait que ça continue à l'être. Je savais vraiment que personne n'allait remarquer mon absence ou me chercher.
J'ai traversé la foule, je suis passée du noir de salle de concert au noir nuit.
J'ai marché jusqu'au métro, je suis passée devant des petits restaurants, j'aurai pu passer une bonne soirée dans l'un d'eux avec une personne ou des personnes que j'aime.
J'avais le visage triste, si vous m'aviez croisé vous m'auriez sûrement trouvé très triste et j'aurai pleuré sur votre manteau parce que j'en étais capable. Vos questions m'auraient fait pleuré.
Ca faisait 24h que je pesais le pour et le contre pour enfin me décider à venir et là je voulais être en mesure de courir et de prendre le TGV pour rentrer chez moi.
Pas plus tard que lundi je parlais de mon dégoût des groupies à J. alors qu'en fait je ne suis que ça, une groupie, une fille qui a trop pensé au chanteur en écoutant la musique.

J'ai pensé, je ne suis plus en mesure de dire que je connais le chanteur de Poni Hoax, Diplomatic Shit et Paris. Maintenant je ne connais plus personne, je ne connais plus que ma famille et ma classe, penser longuement à eux me réconfortent, je suis mieux là-bas.
je ne pense pas les revoir avant des années, peut-être même plus jamais.

Une fois chez moi j'avais froid un peu partout et je me suis mise en pyjama.

mardi

Une nounou d'enfer

il me demande si je veux jouer à cache-cache. ça fait tellement longtemps qu'on ne m'avait pas proposé ça que j'en rigole, comme s'il plaisantait. Mais le truc c'est qu'il ne plaisante pas.
Je lui réponds que non, que son frère dort et que je suis fatiguée, il me propose alors "soit un cache cache soit un un chat balle". Je soupire, ne sachant pas quoi choisir entre la peste et le choléra et lui demande ce qu'il préfère entre un cache-cache et un chat balle.
Il me répond "CHAT BALLE". Je me dis qu'à son âge on fait la différence entre une mauvaise et une bonne baby sitter et que vu ce qu'il est capable de faire devant moi, il n'hésitera pas à tout balancer à sa mère, qui risque de le bombarder de questions.
C'est parti pour un chat-balle.
Je cours dans la maison, complètement exténuée par pas assez de motivation et par un manque de sommeil que je traîne depuis le début de la semaine.
Je ne cesse de penser à ma récompense : 104€ par mois, de quoi subvenir à mes caprices les plus inutiles, ça me donne envie de courir encore plus vite. Rien que pour ça je remercie JB d'être né et d'avoir besoin de compagnie, merci aussi à son frère qui a eu la gentillesse de s'endormir, me donnant ainsi moins de travail.

On a aussi joué aux voitures sur son tapis qui représentait une ville avec ce qu'il faut de chantier et de feux rouges pour rendre le parcours intéréssant.
Je les observais fouiller dans la corbeille en osier à la recherche de LA voiture de course qui ira plus vite que les autres alors que la rapidité de la voiture ne dépend que de celle de leurs gestes.

Tout ce qu'ils font me semblent curieux, nouveaux.
Je n'arrive pas à les comprendre, ils sont un peu capricieux et autoritaires. Je n'ai pas été éduqué de cette façon, j'ai été éduquée devant la télé et au centre aéré, dans un quartier plutôt pauvre mais qui signifie tout pour moi, et en "tout" je veux parler de mon enfance, pourtant pas brillante mais assez acceptable pour m'inspirer de la nostalgie.
Je n'ai même pas le droit d'allumer la télé avec eux alors que pour moi c'est une présence presque essentielle à toute activité : des images qui bougent, un léger sifflement qui montre qu'elle est allumée même mise en sourdine. Là je m'ennuie, JB me fout son CD de comptines rock et il met repeat quand passe sa préférée; elle passera environ 15 fois.

On a aussi joué à la maitresse et à l'élève. Mmh, nan, plutôt au maître et à l'élève.
Il était le maître, j'étais l'élève assise à son bureau avec un cahier de brouillon devant moi.
Il a fait l'appel environ 4 fois, il a inventé des noms et il casait le mien dans sa liste, il répondait même à des élèves imaginaires et insolents. Ca donnait :
"-Erwan tu dégages où je te fous mon pied."
ou encore
-"Vous imaginez que 23 élèves c'est pas beaucoup mais pour moi c'est difficile à gérer"
Alors qu'il n'y avait que moi, complètement morte de rire et essayant de ne pas le lui montrer pour ne pas qu'il me gronde. notant ses propos sur un bout de feuille.
Je comprenais ses envies d'autorité, ces répliques de prof qu'il a toujours voulu prononcés et ces envies de corriger en rouge, mais ça me faisait vraiment peur, peut-être que ça me démontrait un peu trop crûment l'extrême solitude des enfants qui bascule presque vers une sorte de douce folie.
On a même fait de vrai élection de délégué, je n'ai pas voulu me présenter, je le suis déjà dans la vraie vie. ah ah
j'ai voté pour Esther et Erwan -les seuls prénoms de la "classe" que j'avais retenu. Il m'a dit qu'on n'avait le droit qu'à un seul vote et malgré mon unique vote pour Esther, c'est Erwan, élu à la majorité, qui a gagné.
Lassé de parler au vide, il m'a demandé si je voulais prendre la relève et faire la maîtresse. Je n'avais pas la tête à jouer à ça, il le faisait si bien, et je suis toujours mieux en élève dominée qu'en prof dominant, c'est mon rôle depuis toujours.

Je suis restée avec eux 3 heures. 3 heures presque interminables, de celles qui finit par nous dissuader de regarder notre Swatch. Ce qui me sauvait c'était les quelques sms que j'envoyais avec mon portable à Alexia ou à Augustin pour organiser le cinéma de la soirée.

19h20, le papa rentre. Un homme d'affaires convenable et plutôt bel homme qui ne soupçonne peut-être pas mes nombreuses fouilles (sans les mains, rien qu'avec les yeux) dans ses affaires.
Son armoire consacré aux BDs, Largo Winch et Tintin. Ses lectures préférés qui prend plaisir à conseiller à sa femme, ou peut-être l'inverse.
Kundera, Pennac, un Beckett, quelques policiers après je sais plus trop bien. Un abonnement au théâtre du Rond Point, pas beaucoup de Cds, un Alain Souchon, un Jean Louis Murat.

Pendant mes excursions à la rencontre de l'autre, V. joue avec mon portable, c'est la seule chose qui arrive à le captiver et à lui faire oublier mon absence ou ma présence. Je préfère ça à ses puzzle d'autistes qu'il redécouvre pour la 100ème fois avec le même émerveillement. Ses caisses à jouets avec des motifs de girafes et d'éléphants colorés et ludiques. Cette enfance qui est la même pour tous les mômes, uniformisée, avec les mêmes souvenirs et les mêmes Bledina dans la bouche.
Ca me donnait à réfléchir sur mes futurs enfants et sur ce qui est déterminant pour la suite pendant l'enfance.
Parfois j'imagine mes gosses ne pas aimer lire. Mon éducation ne suffira pas à leurs faire aimer les livres, je pense qu'il y a une part d'inné, de prédestination à aimer telle ou telle chose. ça me fait un peu peur mais j'ai d'autres problèmes un peu plus actuels.


Je rentre chez moi dans la presque-nuit avec l'envie d'arrêter le baby-sitting et tentant de me consoler en pensant à l'aspect "sociologique" de la chose qui me donne matière à écrire, et puis aussi l'argent.

je mange, raconte mon baby sitting à Emile et Myriam avec beaucoup d'impatience mais pas assez de temps et me recoiffe.
Alexia ne vient finalement pas et Augustin se tâte encore. Sur le chemin du cinéma je l'appelle, il ne viendra finalement pas, c'était prévisible.
Je papote sans interruption avec Marie sur les sièges de velours rouge et passe une bonne soirée devant l'éblouissant assassinat de Jesse James.


ps : j'ai encore beaucoup de choses à dire sur le baby sitting, il faudra que j'y revienne bientôt.

lundi

du remplissage



Ce sont des rendez-vous que je lui fixe implicitement en allant en cours tous les jours.
Quand il n'est pas là je passe mon temps à parler de lui et puis quand il débarque je me tais, l'ignorant presque. Pourtant à l'intérieur je brûle d'un mélange d'amour et de conscience de la mort, comme à chaque fois qu'une chose agréable se produit, ou que j'en vois une.
Et sa vision m'est beaucoup plus qu'agréable.
J'aimerais à la fois en savoir plus sur lui et tenter une approche mais ce n'est pas trop mon genre.
Ce mystère qui l'entoure et cette frustration de quitter chaque soir le lycée sans avoir susciter son intérêt me font l'effet d'une chanson triste sur laquelle je n'aurai pas eu le temps de pleurer. C'est jouissif et dramatique. C'est mon fardeau romantique que j'embarque avec moi dans le métro. C'est ce que ma soeur ne soupçonne pas quand je lui parle de ma journée.

Au contrôle d'espagnol il était assis tout seul devant moi, il était beau, tellement mignon que je me suis mise à penser que rien qu'avec cette vision je pouvais pondre un roman de 300 pages, c'était une ressource inépuisable de sensations.
Il était là, assis de sorte à ce que je puisse le regarder, pas complètement face à sa table, de profil et concentré, tellement concentré qu'il ne devait plus penser à rien -ni aux filles ni à lui. Comme si déjà à 16 ans il avait eu la sagesse de renoncer à ça, aux french kiss et aux seins cachés sous les pulls mi-coton mi-acrylique des nanas de sa classe.
Il a suffit que la sonnerie retentisse pour que tout le monde reprenne ses esprits, y comprit moi, qui n'avait bredouillé que 5 phrases dans un espagnol approximatif, n'ayant même pas pris la peine de les écrire sur une copie double.
Durant l'heure il s'était retourné pour me demander un mot à traduire et à la fin il m'a juste dit, en voyant ma copie : "t'aurai pu faire du remplissage".
Cette phrase a raisonné dans ma tête toute la journée, je tentais d'y déceler un sens caché, un message personnel, mais je n'y ai trouvé qu'un conseil bienveillant à mon égard et ça m'a suffit.




Une bouteille de Taillefine Fiz aux fruits rouges, de la glace au chocolat, de la pop suédoise, des raisins et une séance de cinéma en soirée de Control pour me consoler jusqu'au cours prochain.
J'aimerai que ce soit interminable, cette jeunesse et cette admiration (pour ne pas dire amour) secrète qui l'accompagne, les chansons de Jens Lekman que je n'écoute pas encore avec nostalgie, sa voix douce comme le goût de l'eau qui me fait penser à lui.

Je suis revenue silencieusement du cinéma , le caoutchouc de mes Vans tapant sur l'asphalte, réajustant mon écharpe toutes les deux minutes.
J'avoue avoir pleuré un peu tout à la fin du film juste parce que c'était la réalité.
Une fois chez moi j'ai fini la bouteille de Taillefine, pris une douche, enfilé mon pyjama, allumé la télé, éteint toutes les lumières, dit bonne nuit à ma mère et je me suis enfoncée dans mon lit en attendant le sommeil. Avant je la regardais beaucoup, maintenant je n'aime plus trop la télé, c'est beaucoup trop marquée dans le temps pour me convenir, je préfère pratiquer des activités jusqu'à l'épuisement et ne pas subir les caprices horaires du PAF.
Le lendemain je n'avais qu'une heure de cours et l'eau avait été coupée dans toute la résidence, j'ai donc décidé de ne pas y aller et je me suis rendormie avec le soleil qui transperçait la fenêtre, les rideaux, et mes paupières.
Promis, la prochaine fois je ferai du remplissage.

dimanche

la chaleur humaine





je suis entourée de plusieurs milliers de personnes, je n'ai ni faim, ni froid, quoiqu' un peu chaud mais ça devrait aller. Si je me met sur la pointe des pieds je peux sentir un petit air frais me toucher le visage, mais je suis surtout entourée de dos et de tête.
Toutes ces personnes qui fixent un même point, il y a des parisiens, des banlieusards et des touristes, Marie consulte plusieurs fois par minute son portable rose motorola dans l'attente d'un texto d'augustin. Je lui demande si elle voit l'écran, elle me dit "ouais", moi je vois rien, si je hausse la tête je peux apercevoir le logo de TF1.

Je me laisse bercer par la chaleur des corps, par la présence réconfortante de tous ces gens placés à la verticale, je ne pense plus à la mort, je n'arrive même plus à y penser, je ne pense à rien.
Je redoute une victoire de l'équipe de France, je risque de me faire défoncer les pieds, je devrais sauter en même temps que tout le monde pour ne pas me faire écraser.
Je n'ai jamais regardé un match de rugby de ma vie, je suis juste venue ici pour l'ambiance, pour faire quelque chose de mon samedi.
A gauche de l'écran il y a un panneau avec le portrait d'Ingrid Betancourt , en regardant le match, les milliers de personnes présentes devant la mairie tournent le dos symboliquement à celle qu'il ne faut pas oublier.

parfois je sens quelque chose d'humide me toucher la main, 15 minutes plus tard je comprends que le mec en veste de treillis qui est à côté de moi à son chien à ses pieds, je lui fais "Ah y'a un chien là? je me demandais ce qui me lèchait la main depuis tout à l'heure", quelques gens rigolent un peu autour. quand la foule s'agite un peu il se baisse pour tenir son chien dans ses bras.

Un mec derrière moi se racle la gorge et tousse sur mes cheveux, j'ai presque envie de vomir, il s'excite un peu trop, saute sur lui même, crie "allez allez allez", ça en devient presque sexuel, et moi je me prends tout dans la gueule, ses gestes brusques, son haleine chaude presque fétide.
Mais rien ne me gêne, je suis d'humeur enjouée.
Cécilia nous a lâché avant le début du match et je commence à bailler mais je suis contente d'être ici et j'aime l'odeur de la bière qui me rappelle tous les samedis soirs festifs de ma vie.


La France gagne le match, des mecs allument des fumigènes et par instinct de survie les gens courent le plus loin possible pour ne pas se recevoir des étincelles, la lumière rouge flamboyante qu'ils crachent m'hypnotise, on dirait de la lave, je trouve ça beau et dangereux. je me fais écraser, j'essaye de ne pas perdre des yeux marie.

Les gens se pressent pour sortir et la foule laisse place à des milliers de sacs en kraft Mcdo, à des bouteilles de bière éclatées, à des lambeaux de presse gratuite.
Les sirènes prévisibles de la police et des ambulances retentissent, la chaussée et les trottoirs se confondent, les gens marchent partout, les piétons dominent les voitures, le feu rouge n'existe plus. La victoire est un prétexte pour aborder les gens.
Un mec me demande "C'EST QUI LES MEILLEURS?", je lui réponds "C'EST TOI", et il a l'air touché, presque flatté.

On part pour prendre le métro mais des agents de sûreté bloquent les tourniquets. Les gens s'accumulent peu à peu jusqu'aux escaliers de la station, et quand ils sont assez ils crient la marseillaise, puis finissent par scander "qui ne saute pas n'est pas français-ais", j'entends un mec basané dire "moi je saute pas, je suis pas français" et je rigole.
on sort de la station, je jette mon sac ED dans une poubelle.
Avant le match on est allé s'acheter de quoi manger chez ED, puis en entrant sur la place les policiers qui fouillaient les sacs m'ont obligé à enlever les bouchons de ma bouteille d'eau et mon Yop Fraise encore plein avant d'entrer.

il y a une valise abandonnée au milieu de la place de l'Hôtel de Ville, les gens s'arrêtent et la regardent, presque fascinés d'être peut-être témoin et victime d'un attentat terroriste. je flippe comme une conne, mais reste à proximité d'elle, elle me fait tellement peur, mes parents s'en voudront à mort si je meurs. finalement elle n'explosera pas.

on marche le long des quais à la recherche d'un autre métro
une fois dans la rame on reste silencieuse et parfois on parle de la bonne soirée qu'on vient de passer et qui pourtant à vue d'oeil ressemblerait plutôt à une soirée ratée.
elle descend pont de neuilly, je descend à la défense. je prends le bus, je suis chez moi à minuit trente. je n'ai pas vu augustin




samedi



L'odeur florale et un peu triste de mes cheveux, mes phalanges un peu froides, les pubs dans la rue d'Emmanuelle Seigner pour Gap et mon nouveau pull Gap.
Je suis dans la rue, ma soeur fait une fête avec ses amis. Ce sera la troisième.
Ca se déroule toujours de la même façon : ils mangent des pizzas et des gâteaux, je lui laisse une clé USB saturée de musique qu'elle branche à la chaine hifi du salon, ils ne boivent pas d'alcool mais parlent toute la nuit et puis vers 2H du matin je vais au salon avec ceux qui restent et on fait une nuit blanche devant NRJ12 et parfois c'est assez tôt pour qu'on commence à prendre le petit-dejeuner. mon père n'est pas là et ma mère dort dans le lit de ma soeur.

Cette fois ci il y a moins de monde et beaucoup trop de pizzas, je suis dans ma chambre avec un Chronic'art pas loin de moi et le dernier CD de Thurston Moore que je viens d'acheter. Le blister est encore éclaté sur mon lit.
Je suis allée sur les Champs tout à l'heure, ça faisait longtemps que j'avais pas fait ça. Partir quelques heures toute seule dans l'unique but de trouver de bons CDs et livres, entourée de quelques rares personnes animées du même projet.
Les rejetés du samedi soir, ce qui n'ont pas de fête à honorer de leur présence, très libres et très seuls ils feuillètent les bacs à disque en laissant filer des perles indies qui ne connaîtront jamais.
Parfois l'envie me prend d'aborder le mec mignon à côté de moi, souvent en sweat à capuche et le dos courbé pour atteindre les groupes en S du bas. Il croit peut-être que je le suis mais je veux juste regarder les Cds des Smiths. voir celui qui me manque.

Comme toujours le son des CD en écoute est beaucoup trop fort et impossible de le régler, je suis obligée de n'écouter que d'une demi-oreille.
Aujourd'hui c'est un jour un peu spécial, j'ai eu 4000 points Fnac et donc un bon de 10€ à dépenser comme je veux, alors je regarde les Cds avec un peu plus de contentement, n'importe lequel peut être mien.
J'achète donc l'avant dernier Interpol qui est maxisoldé, puis Thurston, j'ai 4 points sur ma carte et je file -les mains dans les poches de mon pantalon en velours côtelé- chez Virgin pour les livres. Je sais pas si vous savez mais la Fnac des Champs Elysées ne vend pas de livres. C'est une information qui peut servir.



J'ai acheté un Roth, un Bukowski -un jour j'en viendrai à bout de leurs bibliographies respectives- et le Festin Nu pour mon TPE sur la beat generation.
Là encore il y avait l'inconnu-à-capuche, toujours le dos joliment courbé sous le poids de la culture, lui aussi croyait que je le suivais parce que j'allais toujours aux mêmes lettres que lui sans faire exprès.
Sa présence me trouble, je fixe sa chevelure très brune et j'en perds mon alphabet.

Je ne sais pas s'il ressent tout ça, cette attirance tacite. Ou s'il ne pense qu'à ses livres.
C'est toujours ça le problème, on ne devine jamais les envies et intentions de l'autre, on a peur de mal prétendre alors on rentre chez soi sans rien tenter. c'est toujours mieux que de se foutre la honte.
Alors je reste environ une heure là-bas, j'évolue lentement entre les livres, lui aussi. Parfois on ne sait pas très bien comment s'occuper, on oublie ce qu'on cherchait et puis finalement on s'en souvient et on oublie la présence de l'autre pour se plonger dans une 4ème de couverture.

Après 30 minutes de ce jeu, j'ai fini par abdiquer -pour une fois- la première et par me diriger vers les caisses mes 3 romans sous le bras, sans savoir précisément combien cela m'en coûtera -F4, C12, tout ces codes qui correspondent à des prix, j'arrive à peu près à évaluer le prix d'un livre à son nombre de pages, là ça ne devait normalement pas dépasser les 20€.

J'ai marché assez vite, comme pour casser le rythme trop lent de notre amour indécis, lui faire comprendre qu'on ne me fait pas attendre à moi.
j'ai dit bonsoir au caissier et puis "non" pour la carte fidélité Virgin, au revoir et je suis sortie, toujours un peu honteuse devant le regard du vigile qui à toujours l'air de me soupçonner de quelque chose.

J'ai préféré marcher un peu le long de l'avenue au lieu de m'engouffrer tout de suite dans le métro. Pour une fois marcher et réfléchir ne me dérangeait pas.

J'aime l'ambiance des Champs Elysées même si ça a foutrement perdu de son prestige.
Ça me rappelle des sorties hivernales avec ma soeur ou la violence de la foule après être sortie un peu sonnée d'une séance de cinéma au UGC Normandie.
Maintenant les Champs ce serait presque plus proche des quartiers de Barbès que de l'avenue Montaigne. Tout le monde se croise, tous les pays, tous les milieux sociaux et tous les milieux sociaux de tous les pays. Bon il y a les touristes, le mythe qui englobe l'endroit -"plus belle avenue du monde" tout ça- mais aussi l'hétérogénéité des magasins qui se succèdent les uns après les autres et ne ciblent pas la même clientèle y est pour quelque chose dans ce joyeux chaos ou personne ne marche dans le même sens.
Ce qui ne change jamais par contre, un peu à la manière de balise qui servirait à nous repérer dans le temps, ce sont les sans domicile fixe pourtant toujours fixés à la même place. Il y en a un avec son gros chien vers le Monoprix, et l'autre dans son sac de couchage collé à la façade du Quick. Ironie : Seul l'adolescent cul-de-jatte change de place le long de l'avenue à chacune de mes visites. Je les regarde, mes sacs de merde à la main, et je culpabilise.

Dans le métro,
je me rend compte que depuis que je suis sortie de chez moi je n'ai pas prononcé un seul mot, je suis restée muette. Muette face aux CDs, muette face aux livres, ça pourrait presque ressembler à du respect face à ce qui sera toujours un peu là pour moi. Ce qui aide à adorer la solitude.

vendredi

l'Optimisme





J'ai émergé de mon sommeil vers 8 heures, un bruit de la réalité avait fait irruption dans mon rêve comme ça arrive souvent, c'était la sonnerie de mon portable.
Je me suis levée direction la cuisine. J'ai préparé mon café tout en écoutant le journal sur FranceInter qui parlait des origines hongroises de Sarkozy et de la probabilité d'un voyage qu'il effectuerait là-bas. je l'ai préparé dans ma belle tasse Lichtenstein achetée avant hier après l'exposition à la Pinacothèque.
Je passe beaucoup de temps à la regarder cette tasse, j'aime bien la voir sur la table de la cuisine, elle a pas forcément sa place avec le reste mais elle est très belle, j'ai dit à ma mère de faire attention quand elle faisait la vaisselle, je ne veux pas la casser.
J'ai apporté le café dans ma chambre avec toujours la crainte qu'il soit trop amer mais je l'ai préalablement bombardé de Canderel. Puis j'ai bougé la galette de Neil Young - On the beach pour une ancienne compilation gravée pour ma prof de français de l'année dernière à l'époque où j'avais encore la force de tenir régulièrement ce qu'elle appelait un "cahier de culture".
Play, puis toujours ce petit suspense qui me fait douter que ma chaine Hi-fi puisse lire les MP3, et bam, dès la première mélodie, à une heure normalement trop matinale pour pouvoir ressentir quelque chose d'aussi important, digne de mes nuits les plus tristes,j'ai vu défiler d'anciennes et poussiéreuses chansons qui m'ont littéralement déchiré le coeur tellement elles évoquaient si précisément une époque anté
rieure et le spectre de Baptiste. Je me suis juste effondrée sur mon lit, j'étais faible comme un Pokémon après un combat, je n'arrivais à rien faire, j'étais dans l'attente de tous les refrains, de tous les couplets, le temps passait clairement vite et au bout d'un moment, je suis revenue à la raison et j'ai haussé le son de sorte à ce que je puisse entendre la musique où que je sois dans l'appart pour pouvoir me préparer, mettre ma crème anti-acné (c'est préventif), attaché mes cheveux, me laver les pieds.
Le son était particulièrement limpide, c'était bien, c'était tellement bien, ça me chatouillait le bas du ventre, je me souviens pas avoir vécu une aussi bonne matinée depuis des tas d'années.

On les avait trop écouter ensemble, on se les était trop appropriées, certaines n'appartenaient qu'à lui, il me les avait faites connaître. je me suis sentie quand même mal à l'aise de lui faire ça, d'écouter ses chansons. Je n'avais pas l'impression d'être dans mon droit parce qu'en fin de compte dans l'histoire j'étais celle qui avait refusé de continuer.

J'ai eu du mal à décoller de l'appartement ce qui a fait que j'ai raté mon bus. j'ai dû marcher vite pour ne pas rater le train. Mon coeur était léger, ça allait, je pouvais me presser même en talons compensés. De toute façon la journée me souriait, je me disais que la vie a été jusque là clémente avec moi, l'important c'est ce qu'on est maintenant, comment on en ressort de tous ces "round", est là j'étais dans le train, saine et sauve avec un beau gosse pas loin, mais avec quand même toujours cette frustration de ne pas avoir l'impression de tout maîtriser à 100% et cette nostalgie de ce fameux moment présent qui me foudroie à chaque petit moment de félicité. je ne pense pas pouvoir tout avoir.

A 13h c'était la fin des cours où j'avais passé le plus clair de mon temps à fixer Augustin et à me demander si je le trouvais beau ou pas, autrement dit, s'il deviendrait ma raison de me lever le matin ou non.

j'avais planifié le reste de la journée. Comme tous les jours j'avais mon déjeuner dans mon sac que je prépare pendant une sorte de petit rituel le soir dans ma cuisine. des sandwiches, deux ou trois qui finissent écrasés mais je les préfère comme ça, et une pomme, et parfois un thermos rempli de café quand je sens que la journée sera compliquée.
Aujourd'hui j'avais décidé que je n'allais pas rentrer chez moi, je filerai direct à Beaubourg regarder la collection contemporaine, la moderne sera pour une autre fois.
Comme je ne voulais pas manger dans le métro avec une personne de chaque côté en train de me fixer, j'ai marché dehors jusqu'à la station suivante, de toute façon ça ne me posait pas de problèmes vu que j'aime toujours autant la rumeur des terrasses de café, les bribes de conversation qu'on recueille en passant et les hommes d'affaires qui sont (pour mon plus grand bonheur) obligés de sortir dehors fumer leur clope. Tout ça est très bien, ce sont des images apaisantes qui donnent foi en la vie.
Sur le trajet je lis les nouvelles dans Matin Plus, je ne me trouve pas très crédible, c'est pas comme si c'était le Monde hein, mais c'est déjà ça. D'ailleurs en m'engouffrant dans la station j'ai entendu des agents de sûreté SNCF dans leurs costumes proches de celui des militaires en train de papoter comme des femmelettes et lire leur horoscope dans le dernier 20 minutes, j'ai juste perçu un truc du genre "les astres vous ont réservé", c'était marrant.
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Le centre Pompidou était plutôt vide, j'avais eu l'excellente idée de me pointer la veille des journées du Patrimoine, donc pas un chat mais la gratuité toute l'année pour ma gueule.
L'endroit est toujours aussi vaste et animé, avec une nouveauté : il y avait quelques personnes assises par terre avec leurs laptop vu qu'il y a la Wifi gratos là-bas.
La meuf du guichet a rigolé en voyant ma gueule de 3 ans sur ma carte d'identité, on a eu un rire de connivence, j'ai trouvé ça bien, les gens sont humains.
L'exposition avait encore changé, le centre possède quelque chose comme 60.000 oeuvres et pas assez de place pour tout exposer alors ils changent sans cesse l'exposition permanente.
L'ambiance était sereine, je notais des choses, des concepts, c'était noble et apaisant, loin de beaucoup de choses, j'avais vraiment l'impression de m'ouvrir l'esprit, de comprendre une étendue plus large de choses qui étaient de l'ordre de l'inaccessible il y a 24 heures.
Je note surtout l'effet dévastateur qu'ont eu sur moi les photos de Diane Arbus la même netteté que la musique de ce matin, mes yeux ont commencé à brûler, la même sensation que ce matin, le bien-être, la compréhension, une très grande joie et une tristesse encore plus grande.
Avec Baptiste on est déjà allé ensemble à Beaubourg, vers Noël je crois, on avait passé une journée et une soirée très longue je crois, presque interminable quand j'y pense. Mais si je commence à éviter ou a réserver un sort différent aux endroits où je suis allée avec lui je m'en sortirai pas, on est allé tellement partout ensemble.

De retour chez moi en entrant dans le bus de bonne humeur, j'ai voulu dire bonjour au chauffeur mais il me tournait le dos et parlait à un collège par la fenêtre. Et une fois chez moi, dans les toilettes, en feuilletant Glamour, je suis tombée sur un article qui avait pour titre "Love Story : cette fois c'est la bonne". Baptiste et moi on raffolait de ce genre de psychologie rose cheap qui nous donnait l'impression d'en apprendre beaucoup sur nous, qui nous aidait. on parlait très souvent de presse féminine, je trouvais ça mignon de sa part.
Maintenant je n'ai ni la force ni l'envie de lire ce genre d'articles. alors j'ai tourné la page et j'ai regardé les fringues, il m'en faut des nouveaux à ma taille, j'ai vendu pour 80€ sur Ebay.

mardi

chlore puis café









je suis revenue dimanche soir, je crois avoir passé de bonnes vacances, avec ce qu'il faut de lecture, de télé, de transat et de tourments, ceux qui viennent quand s'en va la surcharge de travail et qui fait qu'on commence à cogiter sur tout un tas de choses qu'on pensait trop loin de nous, comme la mort, la vieillesse et tout et tout.
parfois je prenais le papier à lettres de l'hôtel pour improviser un récit de mes vacances sous forme de lettre et puis je finissais par capituler devant MTV. à part raconter que les Joudet devenaient oranges comme du pain à hamburger et qu'on avait plus de 7up diet dans le petit frigo de la kitchenette j'avais vraiment rien à dire.

Il y avait Canal+ en clair et j'ai pu faire découvrir Weeds à mes frangins et voir au moins 3 fois le même film français agaçant avec Julie Depardieu, à 9h (en comptant le décalage horaire) je devais être à la "maison" pour regarder le JT. Tout paraissait lointain et c'est comme si je ne faisais pas partie de "ces lycéens français" qu'on mentionnait dans les reportages sur la rentrée.
j'étais dans mon hôtel et souvent j'arrivais pas à dormir à cause des nombreux mariages qui s'enchainaient autour de la piscine de l'hôtel. Ca dansait sur la dernière soupe world music de Bob Sinclar et ça se recueillait devant les feux d'artifices.
Les hôtels sont -comme les aéroports- situés entre nulle part et partout, où que vous soyez le même confort vous est reservé; quoi qu'il arrive vous aurez des pains aux chocolats, du jus d'orange et des petits pots de confiture au petit-dejeûner, les piscines ont toutes la même couleur, les serviettes mises à votre disposition sont toutes de ce blanc immaculé qui fait ressortir votre bronzage, il y a de la moquette dans les couloirs, des petits flacons de shampooing et de gel douche qui vous attendent au bord de la baignoire et on vous porte vos valises à votre arrivée/départ. Les hôtels sont des micro-nations.

maintenant c'est fini et différent
les valises sont défaites, les livres de vacances plus cornés que les autres dans la bibliothèque, le monoï est à moitié vide dans la salle de bains à côté d'un pot de vaseline, les tongs compensées dans la valise, mon sac est prêt, mes fringues de demain sèchent sur la terrasse et j'ai dû lisser mes cheveux avec le séchoir car mon fer à lisser est mort. Le processus de débronzage est activé

j'ai ramené avec moi une liste de choses à faire ; vendre un paquet de fringues sur ebay, ne pas oublier de ne pas m'inscrire à la cantine, emmener ma besace FP chez le cordonnier, voir l'expo de Lichtenstein avant qu'elle ne soit délocalisée, remaigrir 3 kilos, j'étais tellement désoeuvré là-bas que maintenant je suis excitée à l'idée d'être surmenée par mes études.
je redoute le moment où mon père me demandera "je t'accompagne demain?",
s'installera alors une routine inévitable, je revois tout sous forme de flash comme dans une pub Gaz de france où ça va très vite pour plus d'émotions;
l'écume du dentifrice, mes yeux rouges, le café qui coule dans le syphon de l'évier, la voiture de mon père, Chante france, le portail, la sonnerie du lycée qui à la base est l'intro d'une chanson d'Aretha Franklin. ouh. est-ce que je tiendrai. c'est sûr que je tiendrai, j'y suis obligée mais à l'intérieur j'exploserai, j'exploserai en un feu d'artifice amer.

samedi

deux

il suffit de ne pas aller une semaine sur le net et de casser avec son copain pour ne plus avoir à qui parler, ni sur le net ni IRL, je crois que je n'ai adressé la parole qu'à ma famille ces derniers temps, et aussi à un mec qui me demandait où se trouvait le train pour Courbevoie mais ça compte pas trop.
on passe du tout au rien, j'ai l'impression d'avoir choisi d'être seule mais de ne pas être contente pour autant, cette solitude molle m'exaspère, parfois j'arrive à l'oublier entre une sucette sans sucres caramel ou fraise et un ciné mais il y a des moments où c'est difficile d'y penser, surtout quand on sait qu'on peut tenter d'y faire quelque chose.

alors je sors avec ma mère, j'aime faire de longs trajets en voiture et regarder mon monde s'épanouir devant mes yeux, quand il fait soleil je peux voir des gens aux terrasses des cafés, presque heureux, et j'ai toujours l'impression de ne pas faire partie de cet amusement collectif. Comme s'il y avait un chemin de vie à prendre pour arriver à être à leurs places avec l'air presque insouciant et que j'en étais qu'au début.
Je pars dans environ 4 jours au Liban, l'année dernière j'y suis pas allée à cause des risques que le voyage comportait. Là je suis un peu contente de partir, déjà on sera pas dans notre appartement mais à l'hôtel à cause des histoires familiales et tout, ça me plaît bien, je verrais le liban autrement, il y aura plus ce canapé dégueulasse et poussiéreux et cet appart vide avec la télé qui fonctionne de façon aléatoire et les cafards. Là on sera bien logés et nourris avec la piscine en bas et tous les centre commerciaux à proximité.
Je me suis achetée des lunettes de plongée parce que la piscine est trop piquante et mes yeux sensibles, j'ai un maillot petit bateau qui a une pochette qu'on peut gonfler pour en faire un petit coussin de plage, une crème solaire IP50 pour les premiers jours et du monoï pour les derniers.

j'aurai tellement rien à faire que je ferais une fixette sur mon bronzage, ce sera comme une carte du monde, les zones chaudes et les zones froides. d'abord les épaules oranges les jambes en dernier. et les questions importantes, qui bronze orange, qui bronze marron, qui bronze rouge, qui ne bronze pas?
j'ai pris beaucoup de lecture, 4 livres de poche, un essai "Petite encyclopédie de la vie merdique en Grande Bretagne à l'usage du reste du monde" des éditions géniales Scali + le roman "Cartographie des nuages", un pavé que Technikart et Chronic'art me conseillent vivement.
Pas de musique, pas d'ordinateur, pas de dvds, aucun écran sinon celui de la fenêtre et de la télé, parfois.
Je demande que ça, me déconnecter, me dépayser et à la fois retrouver les souvenirs qui en moi retentissent le plus fort. Comme l'odeur du liquide vaisselle dans la cuisine de ma grand-mère ou le piano de mon oncle. Des souvenirs qui se sont construits et entretenus lentement mais sûrement, pendant 16 ans et tout.
C'est tellement loin de tout ça, Courbevoie, Paris, les chaines hertziennes, les comportements français, le climat français, les magazines français, le paysage, la nourriture. Je comprends pas qu'on aille chercher des martiens alors qu'il y a tellement de diversités sur ce globe, les martiens ce sont les autres et ces temps-ci l'envie de cerner tous les modes de vie de la Terre grandit en moi.

Je sais pas, le Liban c'est bizarre, je crois que j'ai de la chance d'avoir des origines orientales parce que je suis du genre flemmarde et curieuse à condition que ce soit à portée de ma main et le fait d'être obligée une fois par an de voyager dans un pays qu'on ne soupçonnerait en aucun cas être le mien me permet d'élargir mon horizon un peu étriqué le restant de l'année.

Pour cerner ce pays (et tous les autres qu'on connaît pas d'ailleurs) il faut le voir : visiter les centres commerciaux tout neufs et les routes déglinguées, là-bas il y a pas de feux tricolores et les gens conduisent comme des fous, il y a beaucoup de villas et des pubs géantes accrochées partout, au cinéma les films sont en VO et sous-titrés en français et libanais en même temps et les places sont attribuées sur les tickets, tout le monde à le câble sur sa télé parce qu'il suffit juste d'en acheter un et de le brancher sur son poste pour avoir des centaines de chaînes surtout américaines et sous-titrée en libanais, il y a Zara, Monoprix, Géant et Benetton, un Virgin Megastore à Beyrouth, beaucoup beaucoup de joalleries, un magazine qui s'appelle Mondanités, et pleins de trucs insolites qui font parties du quotidien des libanais, qu'on ignore et de ce fait qui creuse un peu plus le fossé entre deux parties du monde.

lundi

un



Emile et papa sont partis en direction de l'aéroport vers 04h du matin.
Comme j'étais encore réveillée quand il était l'heure pour eux de se lever j'ai essayé de me rendre utile alors j'ai mis pause à mon épisode de The Office et j'ai réveillé Emile puis je lui ai préparé son petit déjeuner. 3 tartines de Nutella avec des rondelles de banane découpées et parfaitement réparties de sorte que cela fasse comme les 5 points d'un dès.

Comme je voulais qu'il lise pendant son voyage d'une semaine je lui ai sorti tous les romans pour enfant qu'on avait et je lui ai dit de choisir. Sur le coup j'ai trouvé que deux harry potter en poche et un roald dahl.
Roald Dahl c'est l'écrivain de la famille, celui que les enfants Joudet on tous lu dans leur enfance.
Il a pris Harry Potter à l'école des sorciers et j'ai mis le livre dans la sacoche de mon père sans grande conviction. Pendant qu'il trempait ses tartines dans son bol de lait froid demi écrémé je lui faisais répéter les deux phrases que je lui
"je dois faire attention à mes affaires"
"je dois pas faire de choses dangereuses"
à chaque fois qu'on doit le laisser partir plus d'une semaine tout seul on est toujours en panique et on se sent obligé d'angoisser.
ma mère lui dit de pas manger de gros morceaux de nourriture pour ne pas s'étouffer,
je lui dis de toujours regarder s'il a bien toutes ses affaires avec lui quand il change d'endroit et de pas faire de galipettes dans la piscine pour ne pas se noyer.

J'ai pensé au retard que pourrait avoir l'avion et j'ai fini par mettre un paquet de petit beurre dans la sacoche au cas où et, doutant de sa mémoire, par lui écrire à la hâte sur un bout de feuille tous les conseils que je lui avais donnés en finissant par un "Dieu te regarde tout le temps" car il est très croyant et c'est la seule manière que j'aie trouvé de le rendre attentif à ce petit bout de feuille. En faisant intervenir la seule personne qu'il préfère à sa maman.
Il arrivait à me relire. il a mis le papier dans son anorak Clayeux et a dis au revoir à Myriam qui venait juste de se réveiller.
On s'est fait un bisou et ils sont partis, c'est ma mère qui les accompagnait.
Myriam s'était réveillée pour leurs dire au revoir, on était tous de bonne humeur de s'être réveillé tôt, on vivait ensemble une heure si avancée de la nuit que ça nous excitait presque car d'habitude à cette heure-ci nous dormons silencieusement dans nos lits respectifs comme des morts.
Nous n'étions plus que ma soeur et moi dans l'appartement, elle était motivée pour prendre son petit-déjeuner et c'est ce qu'elle a fait. Elle s'est fait un café et a sorti les biscuits spécial petit déjeuner,
quant à moi j'ai allumé la radio pour voir ce qui pouvait bien être diffusé à cette heure lointaine de nos vies, j'étais excitée à l'idée d'être la seule à écouter France Inter, presque clandestinement, en secret.
Je me suis préparé un café au lait avec une cuillère de chocolat en poudre allégé en sucre pour adoucir le goût et avec ceci, des biscuits spécial petit déjeuner, les mêmes que ma soeur, que je trempais dans un verre de lait froid différent de celui de mon café chaud.
On a discuté en vidant les restes du sachet de petit beurre inaccessible avec la main sur la table de la cuisine, ils étaient tout cassés et on a tout mangé en papotant très vite et sans articuler tellement nous étions en forme et grisées par tout ça. elle a fait tomber la boîte de biscottes et ça a fait pleins de miettes, elle a tout balayé puis elle est retournée dans son lit regarder les clips sur MCM jusqu'à ce qu'elle s'endorme.
Moi j'ai nettoyé à fond la cuisine, le plan de travail, la vaisselle, le sol, la table, j'ai tout nettoyé un peu superficiellement mais assez bien pour qu'à première vue elle paraisse propre et rangée. et j'étais tellement motivée que j'ai un peu rangé la chambre d'Emile. J'ai ramassé les habits étalés par terre, j'ai fait son lit et rangé sa commode.
Je suis retournée dans mon lit, avec l'impression que j'allais tenir toute la journée sans dormir et puis finalement je me suis effondrée doucement.