mardi

Une nounou d'enfer

il me demande si je veux jouer à cache-cache. ça fait tellement longtemps qu'on ne m'avait pas proposé ça que j'en rigole, comme s'il plaisantait. Mais le truc c'est qu'il ne plaisante pas.
Je lui réponds que non, que son frère dort et que je suis fatiguée, il me propose alors "soit un cache cache soit un un chat balle". Je soupire, ne sachant pas quoi choisir entre la peste et le choléra et lui demande ce qu'il préfère entre un cache-cache et un chat balle.
Il me répond "CHAT BALLE". Je me dis qu'à son âge on fait la différence entre une mauvaise et une bonne baby sitter et que vu ce qu'il est capable de faire devant moi, il n'hésitera pas à tout balancer à sa mère, qui risque de le bombarder de questions.
C'est parti pour un chat-balle.
Je cours dans la maison, complètement exténuée par pas assez de motivation et par un manque de sommeil que je traîne depuis le début de la semaine.
Je ne cesse de penser à ma récompense : 104€ par mois, de quoi subvenir à mes caprices les plus inutiles, ça me donne envie de courir encore plus vite. Rien que pour ça je remercie JB d'être né et d'avoir besoin de compagnie, merci aussi à son frère qui a eu la gentillesse de s'endormir, me donnant ainsi moins de travail.

On a aussi joué aux voitures sur son tapis qui représentait une ville avec ce qu'il faut de chantier et de feux rouges pour rendre le parcours intéréssant.
Je les observais fouiller dans la corbeille en osier à la recherche de LA voiture de course qui ira plus vite que les autres alors que la rapidité de la voiture ne dépend que de celle de leurs gestes.

Tout ce qu'ils font me semblent curieux, nouveaux.
Je n'arrive pas à les comprendre, ils sont un peu capricieux et autoritaires. Je n'ai pas été éduqué de cette façon, j'ai été éduquée devant la télé et au centre aéré, dans un quartier plutôt pauvre mais qui signifie tout pour moi, et en "tout" je veux parler de mon enfance, pourtant pas brillante mais assez acceptable pour m'inspirer de la nostalgie.
Je n'ai même pas le droit d'allumer la télé avec eux alors que pour moi c'est une présence presque essentielle à toute activité : des images qui bougent, un léger sifflement qui montre qu'elle est allumée même mise en sourdine. Là je m'ennuie, JB me fout son CD de comptines rock et il met repeat quand passe sa préférée; elle passera environ 15 fois.

On a aussi joué à la maitresse et à l'élève. Mmh, nan, plutôt au maître et à l'élève.
Il était le maître, j'étais l'élève assise à son bureau avec un cahier de brouillon devant moi.
Il a fait l'appel environ 4 fois, il a inventé des noms et il casait le mien dans sa liste, il répondait même à des élèves imaginaires et insolents. Ca donnait :
"-Erwan tu dégages où je te fous mon pied."
ou encore
-"Vous imaginez que 23 élèves c'est pas beaucoup mais pour moi c'est difficile à gérer"
Alors qu'il n'y avait que moi, complètement morte de rire et essayant de ne pas le lui montrer pour ne pas qu'il me gronde. notant ses propos sur un bout de feuille.
Je comprenais ses envies d'autorité, ces répliques de prof qu'il a toujours voulu prononcés et ces envies de corriger en rouge, mais ça me faisait vraiment peur, peut-être que ça me démontrait un peu trop crûment l'extrême solitude des enfants qui bascule presque vers une sorte de douce folie.
On a même fait de vrai élection de délégué, je n'ai pas voulu me présenter, je le suis déjà dans la vraie vie. ah ah
j'ai voté pour Esther et Erwan -les seuls prénoms de la "classe" que j'avais retenu. Il m'a dit qu'on n'avait le droit qu'à un seul vote et malgré mon unique vote pour Esther, c'est Erwan, élu à la majorité, qui a gagné.
Lassé de parler au vide, il m'a demandé si je voulais prendre la relève et faire la maîtresse. Je n'avais pas la tête à jouer à ça, il le faisait si bien, et je suis toujours mieux en élève dominée qu'en prof dominant, c'est mon rôle depuis toujours.

Je suis restée avec eux 3 heures. 3 heures presque interminables, de celles qui finit par nous dissuader de regarder notre Swatch. Ce qui me sauvait c'était les quelques sms que j'envoyais avec mon portable à Alexia ou à Augustin pour organiser le cinéma de la soirée.

19h20, le papa rentre. Un homme d'affaires convenable et plutôt bel homme qui ne soupçonne peut-être pas mes nombreuses fouilles (sans les mains, rien qu'avec les yeux) dans ses affaires.
Son armoire consacré aux BDs, Largo Winch et Tintin. Ses lectures préférés qui prend plaisir à conseiller à sa femme, ou peut-être l'inverse.
Kundera, Pennac, un Beckett, quelques policiers après je sais plus trop bien. Un abonnement au théâtre du Rond Point, pas beaucoup de Cds, un Alain Souchon, un Jean Louis Murat.

Pendant mes excursions à la rencontre de l'autre, V. joue avec mon portable, c'est la seule chose qui arrive à le captiver et à lui faire oublier mon absence ou ma présence. Je préfère ça à ses puzzle d'autistes qu'il redécouvre pour la 100ème fois avec le même émerveillement. Ses caisses à jouets avec des motifs de girafes et d'éléphants colorés et ludiques. Cette enfance qui est la même pour tous les mômes, uniformisée, avec les mêmes souvenirs et les mêmes Bledina dans la bouche.
Ca me donnait à réfléchir sur mes futurs enfants et sur ce qui est déterminant pour la suite pendant l'enfance.
Parfois j'imagine mes gosses ne pas aimer lire. Mon éducation ne suffira pas à leurs faire aimer les livres, je pense qu'il y a une part d'inné, de prédestination à aimer telle ou telle chose. ça me fait un peu peur mais j'ai d'autres problèmes un peu plus actuels.


Je rentre chez moi dans la presque-nuit avec l'envie d'arrêter le baby-sitting et tentant de me consoler en pensant à l'aspect "sociologique" de la chose qui me donne matière à écrire, et puis aussi l'argent.

je mange, raconte mon baby sitting à Emile et Myriam avec beaucoup d'impatience mais pas assez de temps et me recoiffe.
Alexia ne vient finalement pas et Augustin se tâte encore. Sur le chemin du cinéma je l'appelle, il ne viendra finalement pas, c'était prévisible.
Je papote sans interruption avec Marie sur les sièges de velours rouge et passe une bonne soirée devant l'éblouissant assassinat de Jesse James.


ps : j'ai encore beaucoup de choses à dire sur le baby sitting, il faudra que j'y revienne bientôt.

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