samedi



L'odeur florale et un peu triste de mes cheveux, mes phalanges un peu froides, les pubs dans la rue d'Emmanuelle Seigner pour Gap et mon nouveau pull Gap.
Je suis dans la rue, ma soeur fait une fête avec ses amis. Ce sera la troisième.
Ca se déroule toujours de la même façon : ils mangent des pizzas et des gâteaux, je lui laisse une clé USB saturée de musique qu'elle branche à la chaine hifi du salon, ils ne boivent pas d'alcool mais parlent toute la nuit et puis vers 2H du matin je vais au salon avec ceux qui restent et on fait une nuit blanche devant NRJ12 et parfois c'est assez tôt pour qu'on commence à prendre le petit-dejeuner. mon père n'est pas là et ma mère dort dans le lit de ma soeur.

Cette fois ci il y a moins de monde et beaucoup trop de pizzas, je suis dans ma chambre avec un Chronic'art pas loin de moi et le dernier CD de Thurston Moore que je viens d'acheter. Le blister est encore éclaté sur mon lit.
Je suis allée sur les Champs tout à l'heure, ça faisait longtemps que j'avais pas fait ça. Partir quelques heures toute seule dans l'unique but de trouver de bons CDs et livres, entourée de quelques rares personnes animées du même projet.
Les rejetés du samedi soir, ce qui n'ont pas de fête à honorer de leur présence, très libres et très seuls ils feuillètent les bacs à disque en laissant filer des perles indies qui ne connaîtront jamais.
Parfois l'envie me prend d'aborder le mec mignon à côté de moi, souvent en sweat à capuche et le dos courbé pour atteindre les groupes en S du bas. Il croit peut-être que je le suis mais je veux juste regarder les Cds des Smiths. voir celui qui me manque.

Comme toujours le son des CD en écoute est beaucoup trop fort et impossible de le régler, je suis obligée de n'écouter que d'une demi-oreille.
Aujourd'hui c'est un jour un peu spécial, j'ai eu 4000 points Fnac et donc un bon de 10€ à dépenser comme je veux, alors je regarde les Cds avec un peu plus de contentement, n'importe lequel peut être mien.
J'achète donc l'avant dernier Interpol qui est maxisoldé, puis Thurston, j'ai 4 points sur ma carte et je file -les mains dans les poches de mon pantalon en velours côtelé- chez Virgin pour les livres. Je sais pas si vous savez mais la Fnac des Champs Elysées ne vend pas de livres. C'est une information qui peut servir.



J'ai acheté un Roth, un Bukowski -un jour j'en viendrai à bout de leurs bibliographies respectives- et le Festin Nu pour mon TPE sur la beat generation.
Là encore il y avait l'inconnu-à-capuche, toujours le dos joliment courbé sous le poids de la culture, lui aussi croyait que je le suivais parce que j'allais toujours aux mêmes lettres que lui sans faire exprès.
Sa présence me trouble, je fixe sa chevelure très brune et j'en perds mon alphabet.

Je ne sais pas s'il ressent tout ça, cette attirance tacite. Ou s'il ne pense qu'à ses livres.
C'est toujours ça le problème, on ne devine jamais les envies et intentions de l'autre, on a peur de mal prétendre alors on rentre chez soi sans rien tenter. c'est toujours mieux que de se foutre la honte.
Alors je reste environ une heure là-bas, j'évolue lentement entre les livres, lui aussi. Parfois on ne sait pas très bien comment s'occuper, on oublie ce qu'on cherchait et puis finalement on s'en souvient et on oublie la présence de l'autre pour se plonger dans une 4ème de couverture.

Après 30 minutes de ce jeu, j'ai fini par abdiquer -pour une fois- la première et par me diriger vers les caisses mes 3 romans sous le bras, sans savoir précisément combien cela m'en coûtera -F4, C12, tout ces codes qui correspondent à des prix, j'arrive à peu près à évaluer le prix d'un livre à son nombre de pages, là ça ne devait normalement pas dépasser les 20€.

J'ai marché assez vite, comme pour casser le rythme trop lent de notre amour indécis, lui faire comprendre qu'on ne me fait pas attendre à moi.
j'ai dit bonsoir au caissier et puis "non" pour la carte fidélité Virgin, au revoir et je suis sortie, toujours un peu honteuse devant le regard du vigile qui à toujours l'air de me soupçonner de quelque chose.

J'ai préféré marcher un peu le long de l'avenue au lieu de m'engouffrer tout de suite dans le métro. Pour une fois marcher et réfléchir ne me dérangeait pas.

J'aime l'ambiance des Champs Elysées même si ça a foutrement perdu de son prestige.
Ça me rappelle des sorties hivernales avec ma soeur ou la violence de la foule après être sortie un peu sonnée d'une séance de cinéma au UGC Normandie.
Maintenant les Champs ce serait presque plus proche des quartiers de Barbès que de l'avenue Montaigne. Tout le monde se croise, tous les pays, tous les milieux sociaux et tous les milieux sociaux de tous les pays. Bon il y a les touristes, le mythe qui englobe l'endroit -"plus belle avenue du monde" tout ça- mais aussi l'hétérogénéité des magasins qui se succèdent les uns après les autres et ne ciblent pas la même clientèle y est pour quelque chose dans ce joyeux chaos ou personne ne marche dans le même sens.
Ce qui ne change jamais par contre, un peu à la manière de balise qui servirait à nous repérer dans le temps, ce sont les sans domicile fixe pourtant toujours fixés à la même place. Il y en a un avec son gros chien vers le Monoprix, et l'autre dans son sac de couchage collé à la façade du Quick. Ironie : Seul l'adolescent cul-de-jatte change de place le long de l'avenue à chacune de mes visites. Je les regarde, mes sacs de merde à la main, et je culpabilise.

Dans le métro,
je me rend compte que depuis que je suis sortie de chez moi je n'ai pas prononcé un seul mot, je suis restée muette. Muette face aux CDs, muette face aux livres, ça pourrait presque ressembler à du respect face à ce qui sera toujours un peu là pour moi. Ce qui aide à adorer la solitude.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Eh ! je l'ai jamais vu l'ado cul-de-jatte. Sinon, pour ce qui est du silence et de la solitude, c'est pas rare moi que je me dise, en prononçant mon premier mot de la journée : "tiens, c'est mon premier mot de la journée".