dimanche

la chaleur humaine





je suis entourée de plusieurs milliers de personnes, je n'ai ni faim, ni froid, quoiqu' un peu chaud mais ça devrait aller. Si je me met sur la pointe des pieds je peux sentir un petit air frais me toucher le visage, mais je suis surtout entourée de dos et de tête.
Toutes ces personnes qui fixent un même point, il y a des parisiens, des banlieusards et des touristes, Marie consulte plusieurs fois par minute son portable rose motorola dans l'attente d'un texto d'augustin. Je lui demande si elle voit l'écran, elle me dit "ouais", moi je vois rien, si je hausse la tête je peux apercevoir le logo de TF1.

Je me laisse bercer par la chaleur des corps, par la présence réconfortante de tous ces gens placés à la verticale, je ne pense plus à la mort, je n'arrive même plus à y penser, je ne pense à rien.
Je redoute une victoire de l'équipe de France, je risque de me faire défoncer les pieds, je devrais sauter en même temps que tout le monde pour ne pas me faire écraser.
Je n'ai jamais regardé un match de rugby de ma vie, je suis juste venue ici pour l'ambiance, pour faire quelque chose de mon samedi.
A gauche de l'écran il y a un panneau avec le portrait d'Ingrid Betancourt , en regardant le match, les milliers de personnes présentes devant la mairie tournent le dos symboliquement à celle qu'il ne faut pas oublier.

parfois je sens quelque chose d'humide me toucher la main, 15 minutes plus tard je comprends que le mec en veste de treillis qui est à côté de moi à son chien à ses pieds, je lui fais "Ah y'a un chien là? je me demandais ce qui me lèchait la main depuis tout à l'heure", quelques gens rigolent un peu autour. quand la foule s'agite un peu il se baisse pour tenir son chien dans ses bras.

Un mec derrière moi se racle la gorge et tousse sur mes cheveux, j'ai presque envie de vomir, il s'excite un peu trop, saute sur lui même, crie "allez allez allez", ça en devient presque sexuel, et moi je me prends tout dans la gueule, ses gestes brusques, son haleine chaude presque fétide.
Mais rien ne me gêne, je suis d'humeur enjouée.
Cécilia nous a lâché avant le début du match et je commence à bailler mais je suis contente d'être ici et j'aime l'odeur de la bière qui me rappelle tous les samedis soirs festifs de ma vie.


La France gagne le match, des mecs allument des fumigènes et par instinct de survie les gens courent le plus loin possible pour ne pas se recevoir des étincelles, la lumière rouge flamboyante qu'ils crachent m'hypnotise, on dirait de la lave, je trouve ça beau et dangereux. je me fais écraser, j'essaye de ne pas perdre des yeux marie.

Les gens se pressent pour sortir et la foule laisse place à des milliers de sacs en kraft Mcdo, à des bouteilles de bière éclatées, à des lambeaux de presse gratuite.
Les sirènes prévisibles de la police et des ambulances retentissent, la chaussée et les trottoirs se confondent, les gens marchent partout, les piétons dominent les voitures, le feu rouge n'existe plus. La victoire est un prétexte pour aborder les gens.
Un mec me demande "C'EST QUI LES MEILLEURS?", je lui réponds "C'EST TOI", et il a l'air touché, presque flatté.

On part pour prendre le métro mais des agents de sûreté bloquent les tourniquets. Les gens s'accumulent peu à peu jusqu'aux escaliers de la station, et quand ils sont assez ils crient la marseillaise, puis finissent par scander "qui ne saute pas n'est pas français-ais", j'entends un mec basané dire "moi je saute pas, je suis pas français" et je rigole.
on sort de la station, je jette mon sac ED dans une poubelle.
Avant le match on est allé s'acheter de quoi manger chez ED, puis en entrant sur la place les policiers qui fouillaient les sacs m'ont obligé à enlever les bouchons de ma bouteille d'eau et mon Yop Fraise encore plein avant d'entrer.

il y a une valise abandonnée au milieu de la place de l'Hôtel de Ville, les gens s'arrêtent et la regardent, presque fascinés d'être peut-être témoin et victime d'un attentat terroriste. je flippe comme une conne, mais reste à proximité d'elle, elle me fait tellement peur, mes parents s'en voudront à mort si je meurs. finalement elle n'explosera pas.

on marche le long des quais à la recherche d'un autre métro
une fois dans la rame on reste silencieuse et parfois on parle de la bonne soirée qu'on vient de passer et qui pourtant à vue d'oeil ressemblerait plutôt à une soirée ratée.
elle descend pont de neuilly, je descend à la défense. je prends le bus, je suis chez moi à minuit trente. je n'ai pas vu augustin




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