lundi

un océan d'étoiles



j'avais juste envie de le revoir. ça faisait presque un an, presque jour pour jour que je ne l'avais pas vu. je croyais qu'il aurait été content de me revoir, que j'étais la personne qu'il voulait à ses concerts mais qui n'osait pas me le dire. et puis me le dire où et comment.
il portait un long manteau noir et une écharpe et j'ai du crier son prénom pour qu'il me reconnaisse, il était passé devant moi sans me reconnaître. Malgré ma robe, malgré mon parfum, malgré mes lunettes, malgré l'effort fourni pour être présentable alors que j'avais la gueule des jours mauvais, des dimanches blancs, du teint cireux et pâle, des cheveux plats. Un lundi de labeur sans croiser une seule fois le regard des garçons. j'ai survécu à la lettre de Guy Môquet, aux deux heures de sport, aux deux heures d'histoire, aux deux heures de français. j'étais là, 40 minutes de trajet, des collants et des ballerines malgré le froid, ma plus belle écharpe, une harmonie dans les couleurs.
Tant de détails si réfléchis, si précieux à mes yeux, pour finir par ne pas être regardée.

J'ai tout de suite perçu la façon dont j'allais passer la soirée, dès les premières minutes, c'était fatal.
Il y avait 5 groupes à l'affiche, ils m'ont dit qu'ils n'allaient passer qu'à 22h30. j'avais prévu de partir à 23h.
Une fille est montée sur scène, une folkeuse qui chantait des chansons avec la même voix que Kelly deMartino, une voix dingue pour une française. elle était trop belle, ses petits cheveux étaient dans son bonnet marron, sa robe avait des motifs qui allait bien avec sa musique et je crois qu'elle avait des collants fuschia. les mecs à la batterie et au violon portait des chemises de bûcherons, il étaient propres sur eux et tout mignons.

J'ai passé les 30 minutes du set complètement à l'opposé des gens que je connaissais, je ne voulais pas leurs imposer ma présence gênante et les questions qui peuvent aller avec. faut-il parler entre les chansons, faut-il applaudir.

après il y a eu une très longue entracte, je suis retournée de l'autre côté. quelque chose n'allait pas, avant ce n'était pas comme ça.
J'ai décidé de ne plus être gênée à l'idée de ne rien faire de mes mains. Je regardais ces gens, essayant de ne pas leur communiquer à travers mon regard une once de desespoir ou d'énervement, quelque chose qui ressemblerait à un "SOS venez me parler".
Je fixais N., après tout j'étais là pour lui.
Je n'avais jamais remarqué sa petite taille, je l'avais toujours imaginé grand, élancé, dans des habits trop amples pour lui, avec son collier ras-du-cou un peu gothique qui me fascinait mais qu'il ne met plus depuis longtemps. Je l'ai toujours associé à Ian Curtis, autant dans la voix que dans les fringues que dans l'attitude. même si je ne connais pas vraiment l'attitude de Ian Curtis, mais enfin vous voyez.
Sa petite taille m'a fait songé à Benjamin Castaldi qui lui aussi est petit mais qui ,grâce à quelques astuces de caméra, paraît toujours très grand à la télé.

Ce soir j'en voulais à N d'être aussi épanoui, il avait cette assurance que je n'ai jamais eu et qui suffit à faire de lui un étranger. Cette confiance en son travail est légitime : il a sorti des EP, des albums, il fait des concerts dans les salles branchées de Paris, il y a des pubs et des flyers qui circulent, on parle de lui sur quelques blogs musicaux, dans Technikart, dans le NME, la soirée est sponsorisée par Motorola et Agnes b. Il doit se sentir beaucoup exister.
Il méritait toute cette attention, même si -j'en suis sûre- il gardait un certain recul face à toute cette agitation. Comme tout le monde, comme tous les artistes

La foule, même assez petite pour que j'en distingue ses visages, me rappelle trop souvent ce que je suis, c'est à dire rien, ou pas grand chose. Une nana qui prétend valoir plus que son anonymat. je veux être aimée, je veux que N. vienne me parler comme avant, quand on s'envoyait quelques SMS qui me remplissait de beaucoup de joie.
Je ne veux pas qu'on s'occupe de moi, je ne veux pas être l'enfant à garder, je veux qu'on ait envie de ma présence et qu'on se débrouille pour me forcer à rester, j'aimerai être essentielle, c que je ne vis pas n'est pas censé exister.

D'habitude je ne suis pas là quand le monde tourne sans moi mais cette fois ci c'est comme si on me forçait à rester, à voir les gens capables de beaucoup parler et de beaucoup sourire sans que j'y sois pour quelque chose.
Je pense : il m'a fait la bise, comme pour marquer son empreinte, comme pour me dire "je t'ai reconnu, je t'ai distingué de toute cette foule, ne m'en demande pas plus" et j'ai pris ça pour de l'affection et de l'intérêt.
A 21h j'ai senti que je pouvais encore changer le cours des choses, prendre une bonne décision. Je pouvais rester là à mendier l'attention de quelques personnes jusqu'à épuisement ou rentrer chez moi et sauver la soirée.
J'ai choisi l'option 2.
Je suis partie en ne disant au revoir à personne non pas par rébellion mais parce qu'on m'aurait posé trop de questions auxquelles je n'avais pas les réponses. Tout ça était si spontané, cette décision de partir, qu'il fallait que ça continue à l'être. Je savais vraiment que personne n'allait remarquer mon absence ou me chercher.
J'ai traversé la foule, je suis passée du noir de salle de concert au noir nuit.
J'ai marché jusqu'au métro, je suis passée devant des petits restaurants, j'aurai pu passer une bonne soirée dans l'un d'eux avec une personne ou des personnes que j'aime.
J'avais le visage triste, si vous m'aviez croisé vous m'auriez sûrement trouvé très triste et j'aurai pleuré sur votre manteau parce que j'en étais capable. Vos questions m'auraient fait pleuré.
Ca faisait 24h que je pesais le pour et le contre pour enfin me décider à venir et là je voulais être en mesure de courir et de prendre le TGV pour rentrer chez moi.
Pas plus tard que lundi je parlais de mon dégoût des groupies à J. alors qu'en fait je ne suis que ça, une groupie, une fille qui a trop pensé au chanteur en écoutant la musique.

J'ai pensé, je ne suis plus en mesure de dire que je connais le chanteur de Poni Hoax, Diplomatic Shit et Paris. Maintenant je ne connais plus personne, je ne connais plus que ma famille et ma classe, penser longuement à eux me réconfortent, je suis mieux là-bas.
je ne pense pas les revoir avant des années, peut-être même plus jamais.

Une fois chez moi j'avais froid un peu partout et je me suis mise en pyjama.

mardi

Une nounou d'enfer

il me demande si je veux jouer à cache-cache. ça fait tellement longtemps qu'on ne m'avait pas proposé ça que j'en rigole, comme s'il plaisantait. Mais le truc c'est qu'il ne plaisante pas.
Je lui réponds que non, que son frère dort et que je suis fatiguée, il me propose alors "soit un cache cache soit un un chat balle". Je soupire, ne sachant pas quoi choisir entre la peste et le choléra et lui demande ce qu'il préfère entre un cache-cache et un chat balle.
Il me répond "CHAT BALLE". Je me dis qu'à son âge on fait la différence entre une mauvaise et une bonne baby sitter et que vu ce qu'il est capable de faire devant moi, il n'hésitera pas à tout balancer à sa mère, qui risque de le bombarder de questions.
C'est parti pour un chat-balle.
Je cours dans la maison, complètement exténuée par pas assez de motivation et par un manque de sommeil que je traîne depuis le début de la semaine.
Je ne cesse de penser à ma récompense : 104€ par mois, de quoi subvenir à mes caprices les plus inutiles, ça me donne envie de courir encore plus vite. Rien que pour ça je remercie JB d'être né et d'avoir besoin de compagnie, merci aussi à son frère qui a eu la gentillesse de s'endormir, me donnant ainsi moins de travail.

On a aussi joué aux voitures sur son tapis qui représentait une ville avec ce qu'il faut de chantier et de feux rouges pour rendre le parcours intéréssant.
Je les observais fouiller dans la corbeille en osier à la recherche de LA voiture de course qui ira plus vite que les autres alors que la rapidité de la voiture ne dépend que de celle de leurs gestes.

Tout ce qu'ils font me semblent curieux, nouveaux.
Je n'arrive pas à les comprendre, ils sont un peu capricieux et autoritaires. Je n'ai pas été éduqué de cette façon, j'ai été éduquée devant la télé et au centre aéré, dans un quartier plutôt pauvre mais qui signifie tout pour moi, et en "tout" je veux parler de mon enfance, pourtant pas brillante mais assez acceptable pour m'inspirer de la nostalgie.
Je n'ai même pas le droit d'allumer la télé avec eux alors que pour moi c'est une présence presque essentielle à toute activité : des images qui bougent, un léger sifflement qui montre qu'elle est allumée même mise en sourdine. Là je m'ennuie, JB me fout son CD de comptines rock et il met repeat quand passe sa préférée; elle passera environ 15 fois.

On a aussi joué à la maitresse et à l'élève. Mmh, nan, plutôt au maître et à l'élève.
Il était le maître, j'étais l'élève assise à son bureau avec un cahier de brouillon devant moi.
Il a fait l'appel environ 4 fois, il a inventé des noms et il casait le mien dans sa liste, il répondait même à des élèves imaginaires et insolents. Ca donnait :
"-Erwan tu dégages où je te fous mon pied."
ou encore
-"Vous imaginez que 23 élèves c'est pas beaucoup mais pour moi c'est difficile à gérer"
Alors qu'il n'y avait que moi, complètement morte de rire et essayant de ne pas le lui montrer pour ne pas qu'il me gronde. notant ses propos sur un bout de feuille.
Je comprenais ses envies d'autorité, ces répliques de prof qu'il a toujours voulu prononcés et ces envies de corriger en rouge, mais ça me faisait vraiment peur, peut-être que ça me démontrait un peu trop crûment l'extrême solitude des enfants qui bascule presque vers une sorte de douce folie.
On a même fait de vrai élection de délégué, je n'ai pas voulu me présenter, je le suis déjà dans la vraie vie. ah ah
j'ai voté pour Esther et Erwan -les seuls prénoms de la "classe" que j'avais retenu. Il m'a dit qu'on n'avait le droit qu'à un seul vote et malgré mon unique vote pour Esther, c'est Erwan, élu à la majorité, qui a gagné.
Lassé de parler au vide, il m'a demandé si je voulais prendre la relève et faire la maîtresse. Je n'avais pas la tête à jouer à ça, il le faisait si bien, et je suis toujours mieux en élève dominée qu'en prof dominant, c'est mon rôle depuis toujours.

Je suis restée avec eux 3 heures. 3 heures presque interminables, de celles qui finit par nous dissuader de regarder notre Swatch. Ce qui me sauvait c'était les quelques sms que j'envoyais avec mon portable à Alexia ou à Augustin pour organiser le cinéma de la soirée.

19h20, le papa rentre. Un homme d'affaires convenable et plutôt bel homme qui ne soupçonne peut-être pas mes nombreuses fouilles (sans les mains, rien qu'avec les yeux) dans ses affaires.
Son armoire consacré aux BDs, Largo Winch et Tintin. Ses lectures préférés qui prend plaisir à conseiller à sa femme, ou peut-être l'inverse.
Kundera, Pennac, un Beckett, quelques policiers après je sais plus trop bien. Un abonnement au théâtre du Rond Point, pas beaucoup de Cds, un Alain Souchon, un Jean Louis Murat.

Pendant mes excursions à la rencontre de l'autre, V. joue avec mon portable, c'est la seule chose qui arrive à le captiver et à lui faire oublier mon absence ou ma présence. Je préfère ça à ses puzzle d'autistes qu'il redécouvre pour la 100ème fois avec le même émerveillement. Ses caisses à jouets avec des motifs de girafes et d'éléphants colorés et ludiques. Cette enfance qui est la même pour tous les mômes, uniformisée, avec les mêmes souvenirs et les mêmes Bledina dans la bouche.
Ca me donnait à réfléchir sur mes futurs enfants et sur ce qui est déterminant pour la suite pendant l'enfance.
Parfois j'imagine mes gosses ne pas aimer lire. Mon éducation ne suffira pas à leurs faire aimer les livres, je pense qu'il y a une part d'inné, de prédestination à aimer telle ou telle chose. ça me fait un peu peur mais j'ai d'autres problèmes un peu plus actuels.


Je rentre chez moi dans la presque-nuit avec l'envie d'arrêter le baby-sitting et tentant de me consoler en pensant à l'aspect "sociologique" de la chose qui me donne matière à écrire, et puis aussi l'argent.

je mange, raconte mon baby sitting à Emile et Myriam avec beaucoup d'impatience mais pas assez de temps et me recoiffe.
Alexia ne vient finalement pas et Augustin se tâte encore. Sur le chemin du cinéma je l'appelle, il ne viendra finalement pas, c'était prévisible.
Je papote sans interruption avec Marie sur les sièges de velours rouge et passe une bonne soirée devant l'éblouissant assassinat de Jesse James.


ps : j'ai encore beaucoup de choses à dire sur le baby sitting, il faudra que j'y revienne bientôt.

lundi

du remplissage



Ce sont des rendez-vous que je lui fixe implicitement en allant en cours tous les jours.
Quand il n'est pas là je passe mon temps à parler de lui et puis quand il débarque je me tais, l'ignorant presque. Pourtant à l'intérieur je brûle d'un mélange d'amour et de conscience de la mort, comme à chaque fois qu'une chose agréable se produit, ou que j'en vois une.
Et sa vision m'est beaucoup plus qu'agréable.
J'aimerais à la fois en savoir plus sur lui et tenter une approche mais ce n'est pas trop mon genre.
Ce mystère qui l'entoure et cette frustration de quitter chaque soir le lycée sans avoir susciter son intérêt me font l'effet d'une chanson triste sur laquelle je n'aurai pas eu le temps de pleurer. C'est jouissif et dramatique. C'est mon fardeau romantique que j'embarque avec moi dans le métro. C'est ce que ma soeur ne soupçonne pas quand je lui parle de ma journée.

Au contrôle d'espagnol il était assis tout seul devant moi, il était beau, tellement mignon que je me suis mise à penser que rien qu'avec cette vision je pouvais pondre un roman de 300 pages, c'était une ressource inépuisable de sensations.
Il était là, assis de sorte à ce que je puisse le regarder, pas complètement face à sa table, de profil et concentré, tellement concentré qu'il ne devait plus penser à rien -ni aux filles ni à lui. Comme si déjà à 16 ans il avait eu la sagesse de renoncer à ça, aux french kiss et aux seins cachés sous les pulls mi-coton mi-acrylique des nanas de sa classe.
Il a suffit que la sonnerie retentisse pour que tout le monde reprenne ses esprits, y comprit moi, qui n'avait bredouillé que 5 phrases dans un espagnol approximatif, n'ayant même pas pris la peine de les écrire sur une copie double.
Durant l'heure il s'était retourné pour me demander un mot à traduire et à la fin il m'a juste dit, en voyant ma copie : "t'aurai pu faire du remplissage".
Cette phrase a raisonné dans ma tête toute la journée, je tentais d'y déceler un sens caché, un message personnel, mais je n'y ai trouvé qu'un conseil bienveillant à mon égard et ça m'a suffit.




Une bouteille de Taillefine Fiz aux fruits rouges, de la glace au chocolat, de la pop suédoise, des raisins et une séance de cinéma en soirée de Control pour me consoler jusqu'au cours prochain.
J'aimerai que ce soit interminable, cette jeunesse et cette admiration (pour ne pas dire amour) secrète qui l'accompagne, les chansons de Jens Lekman que je n'écoute pas encore avec nostalgie, sa voix douce comme le goût de l'eau qui me fait penser à lui.

Je suis revenue silencieusement du cinéma , le caoutchouc de mes Vans tapant sur l'asphalte, réajustant mon écharpe toutes les deux minutes.
J'avoue avoir pleuré un peu tout à la fin du film juste parce que c'était la réalité.
Une fois chez moi j'ai fini la bouteille de Taillefine, pris une douche, enfilé mon pyjama, allumé la télé, éteint toutes les lumières, dit bonne nuit à ma mère et je me suis enfoncée dans mon lit en attendant le sommeil. Avant je la regardais beaucoup, maintenant je n'aime plus trop la télé, c'est beaucoup trop marquée dans le temps pour me convenir, je préfère pratiquer des activités jusqu'à l'épuisement et ne pas subir les caprices horaires du PAF.
Le lendemain je n'avais qu'une heure de cours et l'eau avait été coupée dans toute la résidence, j'ai donc décidé de ne pas y aller et je me suis rendormie avec le soleil qui transperçait la fenêtre, les rideaux, et mes paupières.
Promis, la prochaine fois je ferai du remplissage.

dimanche

la chaleur humaine





je suis entourée de plusieurs milliers de personnes, je n'ai ni faim, ni froid, quoiqu' un peu chaud mais ça devrait aller. Si je me met sur la pointe des pieds je peux sentir un petit air frais me toucher le visage, mais je suis surtout entourée de dos et de tête.
Toutes ces personnes qui fixent un même point, il y a des parisiens, des banlieusards et des touristes, Marie consulte plusieurs fois par minute son portable rose motorola dans l'attente d'un texto d'augustin. Je lui demande si elle voit l'écran, elle me dit "ouais", moi je vois rien, si je hausse la tête je peux apercevoir le logo de TF1.

Je me laisse bercer par la chaleur des corps, par la présence réconfortante de tous ces gens placés à la verticale, je ne pense plus à la mort, je n'arrive même plus à y penser, je ne pense à rien.
Je redoute une victoire de l'équipe de France, je risque de me faire défoncer les pieds, je devrais sauter en même temps que tout le monde pour ne pas me faire écraser.
Je n'ai jamais regardé un match de rugby de ma vie, je suis juste venue ici pour l'ambiance, pour faire quelque chose de mon samedi.
A gauche de l'écran il y a un panneau avec le portrait d'Ingrid Betancourt , en regardant le match, les milliers de personnes présentes devant la mairie tournent le dos symboliquement à celle qu'il ne faut pas oublier.

parfois je sens quelque chose d'humide me toucher la main, 15 minutes plus tard je comprends que le mec en veste de treillis qui est à côté de moi à son chien à ses pieds, je lui fais "Ah y'a un chien là? je me demandais ce qui me lèchait la main depuis tout à l'heure", quelques gens rigolent un peu autour. quand la foule s'agite un peu il se baisse pour tenir son chien dans ses bras.

Un mec derrière moi se racle la gorge et tousse sur mes cheveux, j'ai presque envie de vomir, il s'excite un peu trop, saute sur lui même, crie "allez allez allez", ça en devient presque sexuel, et moi je me prends tout dans la gueule, ses gestes brusques, son haleine chaude presque fétide.
Mais rien ne me gêne, je suis d'humeur enjouée.
Cécilia nous a lâché avant le début du match et je commence à bailler mais je suis contente d'être ici et j'aime l'odeur de la bière qui me rappelle tous les samedis soirs festifs de ma vie.


La France gagne le match, des mecs allument des fumigènes et par instinct de survie les gens courent le plus loin possible pour ne pas se recevoir des étincelles, la lumière rouge flamboyante qu'ils crachent m'hypnotise, on dirait de la lave, je trouve ça beau et dangereux. je me fais écraser, j'essaye de ne pas perdre des yeux marie.

Les gens se pressent pour sortir et la foule laisse place à des milliers de sacs en kraft Mcdo, à des bouteilles de bière éclatées, à des lambeaux de presse gratuite.
Les sirènes prévisibles de la police et des ambulances retentissent, la chaussée et les trottoirs se confondent, les gens marchent partout, les piétons dominent les voitures, le feu rouge n'existe plus. La victoire est un prétexte pour aborder les gens.
Un mec me demande "C'EST QUI LES MEILLEURS?", je lui réponds "C'EST TOI", et il a l'air touché, presque flatté.

On part pour prendre le métro mais des agents de sûreté bloquent les tourniquets. Les gens s'accumulent peu à peu jusqu'aux escaliers de la station, et quand ils sont assez ils crient la marseillaise, puis finissent par scander "qui ne saute pas n'est pas français-ais", j'entends un mec basané dire "moi je saute pas, je suis pas français" et je rigole.
on sort de la station, je jette mon sac ED dans une poubelle.
Avant le match on est allé s'acheter de quoi manger chez ED, puis en entrant sur la place les policiers qui fouillaient les sacs m'ont obligé à enlever les bouchons de ma bouteille d'eau et mon Yop Fraise encore plein avant d'entrer.

il y a une valise abandonnée au milieu de la place de l'Hôtel de Ville, les gens s'arrêtent et la regardent, presque fascinés d'être peut-être témoin et victime d'un attentat terroriste. je flippe comme une conne, mais reste à proximité d'elle, elle me fait tellement peur, mes parents s'en voudront à mort si je meurs. finalement elle n'explosera pas.

on marche le long des quais à la recherche d'un autre métro
une fois dans la rame on reste silencieuse et parfois on parle de la bonne soirée qu'on vient de passer et qui pourtant à vue d'oeil ressemblerait plutôt à une soirée ratée.
elle descend pont de neuilly, je descend à la défense. je prends le bus, je suis chez moi à minuit trente. je n'ai pas vu augustin