mardi

La brioche et l'oreiller

le temps de quelques jours j'ai été malade, un mal de gorge sérieux qui s'est peu à peu répandu jusqu'aux oreilles, ça faisait mal, c'était chiant, et je tenais pas à aller chez le médecin, je me soignais d'Advil, de lait chaud et d'un mélange de citron pressé et de miel chauffé pas si dégueu que ça, Doctissimo se révélant être l'alternative à une séance chez le généraliste. Je ne supportais plus les chocolats chauds, tout m'écoeurait et je mangeais ce que je trouvais et ce que je voulais, je ne tenais pas à prendre soin de ma ligne, je ne pouvais pas traiter deux problèmes en même temps et il se trouvait que ma maladie s'accompagnait d'une dépression assez tenace.
tout ça a duré le temps d'une semaine, ce fût comme d'habitude très long et très pénible, je n'avais pas la force de tenir un livre, de suivre un film, d'écouter un album. je voulais juste sortir dans les grands magasins avec ma mère, faire comme si tout allait bien et qu'on allait acheter des trucs qui nous auraient fait plaisir, accrocher mon moral aux gadgets et aux passants mais ces premiers m'énervaient et ces derniers marchent trop lentement.
Je cherchais du réconfort dans la brioche du matin ou dans l'oreiller du soir, dans des objets aussi inertes que moi, des repas moins insipides que mon quotidien. Entre la brioche et l'oreiller rien n'allait et rien ne se passait, je rentrais chez moi, saisissant le courrier au vol, jettant ce qui me paraissait jetable, les prospectus m'irritant de plus en plus, je fonçais dans mon lit, priant pour perdre conscience le plus vite et le plus longtemps possible, éviter cette tranche horaire où tout le monde est à la maison, où des comptes rendus de journée de travail s'échangent dans la cuisine et où des comptes-rendus de journée tout courts s'enchaînent dans les JT. Quand on a le plus besoin d'être seul, au calme, plus ou moins au chaud.

Mon envie de lire des romans n'a alors jamais été aussi forte, aussi je n'ai peut-être jamais autant lu et ces quelques détails peuvent naïvement se traduire par un besoin de fuir la réalité sinon d'y vivre le moins longtemps possible.
Sommeil et lecture, dans l'immédiat je n'aspirais qu'à ça et en dehors de la joliesse de l'idée rien d'autre ne pouvait me faire plaisir.
J'ai pensé qu'être malade n'était plus aussi agréable qu'avant. Avant c'était synonyme de dessins animés, de dorlotage et de jours d'école ratés. Maintenant il faut souffrir en silence et toute seule et aller en cours, et puis ma mère ne me fait plus de thé, ma soeur tente de me convaincre que je ne suis pas malade et Emile se plaint d'avoir attrapé ma maladie.
Avant j'avais l'impression de redécouvrir l'appartement sous une lumière différente, je voyais le ciel très clair et sentais la couverture fraîche sur mes pieds, ma mère prenait de mes nouvelles par téléphone toutes les heures avec une douceur particulière dans la voix, je m'ennuyais chez moi pendant que les autres s'ennuyaient en cours, c'était comme la pluie dehors quand on est bien au chaud et ce genre de trucs qu'on aime bien, tout s'éclaircissait, je me sentais en vie à défaut d'être en cours.

lundi

au début j'étais partie pour aller voir There will be blood à 17h10 mais une fois arrivée à l'UGC Ciné Cité de la Défense l'écran affichait la séance complète. J'ai appelé Emile pour lui demander les séances sur les Champs, l'imbécile jouait à son jeu entre chaque chargement de pages. Toutes les séances étaient à des horaires trop justes alors je suis rentrée chez moi par le train, faisant passer avec moi une nana et sa fille que je voyais galérer et gronder leur ticket de métro.
Une fois chez moi j'ai bien pensé à réserver ma séance pour 20h30, j'ai bu un café trop bon comme rarement j'en bois chez moi, puis j'ai scanné des pages de Technikart à des mecs qui ont la flemme de l'acheter ou qui peuvent pas.
Vers 19h45 je descends, embarquant ma soeur avec moi, Emile est dans le hall avec ses copains, ils ont joué une bonne partie de l'après-midi, agitant leurs bras, criant pour exprimer leur amusement. On appelle ma mère pour lui dire qu'on se casse, elle nous dit qu'elle arrive bientôt et qu'elle peut nous accompagner, ça nous évitera de prendre le train. On grimpe dans la voiture avec Emile, on lui a proposé de venir avec nous mais que bon le film était très long et qu'il arriverait peut-être pas à comprendre, ma soeur lui a sorti "c'est un film sur le pétrole", un peu avant elle me disait "il sait même pas ce que c'est le pétrole". Moi je pensais "mais qui sait ce que c'est le pétrole?", on peut dire que c'est un peu un liquide qui ressemble à du Nutella et qui fait tourner le monde.
Il est quand même venu dans la voiture, ça lui fait toujours une ballade dans Courbevoie, ma mère nous dit "c'est comme si on c'était donné rendez-vous" alors qu'elle ignore qu'on l'a bien attendu 10 minutes avant qu'elle se ramène.
Au cinéma on retire nos places, la réservation de ma soeur n'a pas marché alors elle fait la manip qu'on fait d'habitude et qui prend 5 secondes à tout casser dans une borne d'achat. On parle un peu, on a environ 20 minutes à tuer mais ça passe vite, ensuite il y a les bandes-annonces puis on se dit qu'il y a personne dans la salle, ensuite je vais aux toilettes, je reviens et la salle est pleine comme une bouteille d'eau pas encore ouverte, genre à ras-bord.
Je dérange tout le monde pour retourner à ma place, un peu gênée et tout, et puis du coin de l'oeil je remarque une écharpe rouge qui me fait penser à un mec de ma classe qui en laisse toujours une rouge tomber autour de son cou. Je me rassois, je tourne un peu la tête et je vois que c'est lui, assis à côté de son frère que ma soeur connaît, mais je le salue pas parce que je sais qu'il aime pas ça, qu'il aime pas être dérangé. Le plus fou c'est que juste avant d'aller aux toilettes on parlait du Facebook de son frère, ça ça s'invente pas.
Le mec, je le fais se lever, il se dérange pour moi, je lui frôle les jambes, il a dû croire que je l'évitais, on va devoir s'expliquer ou alors faire style rien ne s'est passé, genre "There will be blood? azi je l'ai raté"

Le film était très long, très bien et assez déprimant, je le mets dans la même boîte mentale que "L'assassinat de Jesse James" et "No country for old men", même ambiance un peu contemplative avec des cow-boys et des grands espaces, Kerouac style.
Pendant une bonne partie du film j'avais l'article de Technikart dans la tête puis parfois des idées et des soucis qui m'empêchaient de me concentrer, alors j'ai fermé les yeux quelques secondes, je me suis ressaisis. Je restais tellement immobile que je me surprenais à oublier mon corps et à ne sentir plus que mes deux yeux cligner et mes lunettes sur mon nez, le reste était comme paralysé, c'était une sensation agréable.
2h38 plus tard je retrouve peu à peu la parole et l'usage de mes jambes. On a juste le temps de prendre le dernier bus en repensant au film chacune de notre côté. En rentrant vers minuit j'avais faim, j'ai préparé une casserole de soupe aux oignons et j'ai essayé d'inviter quelqu'un qui soit encore éveillé pour pas tout manger.Myriam voulait pas manger, Emile lisait son manga à la lueur de sa lampe de chevet, il a bougé son boule jusque dans la cuisine et a continué à lire pendant que je sortais deux grands bols identiques et une louche en plastique blanc.
C'était la première fois qu'on goûtait ce sachet Maggie, avant c'était toujours Poule aux vermicelles. Emile a dit que la soupe était dorée et ça la rendait à mes yeux encore plus délicieuse, la lumière au dessus de nous était aussi un peu dorée, tout baignait dans une lueur un peu mordorée, c'était chouette.